La pelouse aux mangues.
Pieds nus, je fais le tour de l'île de Moorea ou chaque tournant du chemin me réserve une beauté nouvelle.
Aux abords du village de Papetoai une voix m'interpelle, j'aperçois une vieille femme, assise à l'ombre d'un arbre, elle me fait signe de venir.
Autour d'elle, tout est vert, non pas de ce vert trop pâle des pays mangés par le soleil, mais du vert profond des pelouses qui tapisse les parcs des châteaux d'Irlande, de ce vert dont rêvent les colons égaré dans les sables, loin des Oasis.
Moorea était couverte autrefois d'un bout à l'autre de cette herbe qui subsiste encore de place en place.
Auprès de la vieille indigène qui porte une robe violette, cette herbe est jonchée de fruits jaunes, gros comme des belles poires, ce sont des mangues, ces fruits sont inconnus pour moi.
Leur couleur me fait penser à celle des deux tahitiennes nues, peintes par Gauguin.
Elle m'invite à y gouter et ouvre elle même une mangue qui fait pleuvoir sur ses doigts un jus couleur d'orange, aussi tenace qu'une couleur de peintre.
La chair des mangues est de même nature que l'esprit des îles, il faut savoir l'apprécier.
Peu à peu ce pays s'est ouvert à moi, lentement, il suffit de l'aimer. Mais quand on l'aime profondément autant que j'aime les mangues on peut être sur que ce sera pour toujours.
L'heure Gauguin
L'heure Gauguin précède celles des tupapaus. C'est l'heure ou le soleil s'écrase dans la mer, ou penètre dans la forêt des montagnes. Les troncs infinis des cocotiers s'imprègnent de tons orange. Les béquilles sans couleur des pandanus jettent des reflets d'or. L'herbe des cocoteraies devient un tapis mauve. C'est le moment ou les indigènes ont tous revêtu le paréo pour aller se baigner dans les cascades. Les flamboyants sont autant de taches de sang qui seraient devenus des arbres. Des couples de Tahitiennes accroupies comme dans la toile : Nafea faa ipoipo (quand te maries-tu? ) se font des confidences amoureuses. A la cascade, l'eau de la chute est devenue rose. De jeunes femmes cueillent des fleurs de tiaré pour faire des couronnes pour les danses du soir et des vieilles développent des poissons cuits au four dans des feuilles de bananier. Le moindre son, le moindre visage, le moindre objet, le moindre geste participent au miracle de ce crépuscule. La nuit se glisse à travers les couleurs, les verts tournent au noir, l'île n'est plus qu'un grand rocher noir. Dans chaque case une lampe s'allume pour toute la nuit, l'heure Gauguin n'est plus...