« Vous savez, Docteur, vos remèdes l’ont guéri mon homme, mais pour lui faire prendre vous parlez d’un travail ! Il est délicat comme un marquis. J’ai tenu bon : c’est ça ou l’hôpital que je lui ai dit. Il en faisait une de grimace, on aurait dit un âne qui broute un “espina”. Surtout rapport à ce que vous demandiez à la fin du papier : lui faire des sangsues au rectum. Au rectum, j’ai pas su, alors je lui ai faites au beurre noir ».
— Ce qu’y faut, c’est pas trop prêter l’oreille aux contes des docteurs. On n’en finirait plus. Y cherchent qu’une chose, c’est de nous faire acheter des tas de remèdes à leurs copains apothicaires. — Forcément, ils s’arrangent ensemble sur le dos du pauv’monde… Remarque, des fois on est bien obligé, quand c’est grave. — Tu te figures qu’ils le savent, eux, si c’est grave ? Regarde, y a eu deux ans au début de l’été, le Docteur Brun me disait : « Faut vous soigner sérieusement, Carcan, sinon vot’mal pourrait bien devenir cancéreux ». Quand il a vu que je restais froid, il a insisté : « c’est grave, le cancer, ça pardonne pas ! » Plusieurs fois qu’il me l’avait répété. — Et tu t’es pas soigné ? — Comme si j’avais le temps ? Je suis pas un aristo, moi. Qui c’est qu’aurait rentré les foins, qui ferait marcher la ferme si je me couchais et commençais à prendre des drogues ? — T’as peut-être tort, on sait pas ? Le cancer, ça donne à réfléchir. — On verra quand j’aurais « maridé » la fille. Après, le gendre y sera là. J’aurais le temps de m’occuper un peu de moi. — Tu souffres pas ? — Bien sûr que si, poursuivit Carcan, je me serais passé du médecin sans ça. Mais souffrir, j’ai l’habitude depuis le temps, j’en ai vu d’autres. Du moment que je mange, que je bois et que je cague, le reste…
Puis, l'estomac quelque peu apaisé, d'aucuns pleurèrent sur le défunt. D'une table à l'autre on évoquait ses qualités présentes à toutes les mémoires. De défaut ? il n'en avait pas, n'en avait plus. La vie en le quittant les avait emportés avec elle, cédant la place à ses mérites grandissants.
Sur la pelouse rasée de près, soignée comme un gazon anglais, sont disséminées des statues Walt Disney en céramique : des animaux et des nains. Plein de nains. Ils sont tournés vers moi, les nains...
... Ils me regardent et ils se marrent.
"L'alcool, voilà l'ennemi", proclamaient les ligues anti-alcooliques.
"L'homme courageux ne recule pas devant l'ennemi", répliquaient-ils.
Les controverses reprendraient, plus tard.