Dehors s'en va l'hiver
savatant dans la neige
et, sur le pelage du chat
le froid a son odeur de primevère.
(" C'était une nuit comme une autre")
QUAND J'ENTRERAI POUR TOI
Quand j'entrerai pour toi dans mon métier de veuve
J'aurai ces vêtements aux longs plis assemblés,
La démarche sans peur qui porte cette preuve
Qu'un corps souvent étreint a cessé de trembler.
J'aurai le pas d'épouse et le ventre des mères
Où le tablier bleu fait de beaux plis profonds,
Mes cheveux blancs seront la couronne sévère
Que tes doigts amaigris ont posée sur mon front.
Je serai la fermière épaisse qui assume
La tâche d'accomplir l'ordre de chaque jour,
J'aurai perdu l'enfant, les soucis, la coutume
De préparer le pain et le lit et l'amour.
J'irai dans le jardin tondre l'herbe légère
Je taillerai la rose et l'arbre du verger
Je te raconterai aux bêtes familières
Mon flanc se creusera, le soir, pour te chercher.
Près du feu partagé, j'allumerai la lampe
Et nous nous parlerons de la paix de mes jours
Je deviendrai pour toi, la tranquille flamande
Qui met des volets verts à son dernier amour.
(Poème extrait du recueil "Femmes des longs matins"
Je suis du temps des lents et vieux romans d'amour,
Des Grands Meaulnes poussant des portes solennelles .
On se mangeait le coeur en guettant sur la tour
Un pays balancé de bois et d'hirondelles.
La fenêtre est un livre d'images
La fenêtre a chassé la nuit
de ses vitres qui s'ensoleillent
et cette lune de minuit
qu'on te vola dans ton sommeil.
Elle raconte le vieil arbre
qui ruisselle soudain d'oiseaux,
la rose ouverte et puis les larmes
que va pleurer un soir si beau.
Elle capte pour t'enchanter
le printemps comme une musique,
les voiliers d'air faits de nuées
qui s'en iront vers l'Amérique.
Quelquefois passe une hirondelle
plus bleue encor que le ciel bleu
et les autos moins vives qu'elle.
Les compter te paraît un jeu.
T'offrant le monde en ta maison,
La fenêtre est livre d'images.
Tu peux feuilleter les saisons
sans avoir à tourner la page.
Les roses insoutenables
s'ouvraient et se fermaient
comme des sexes bien aimés.
On serait malade d'amour
tout le temps sous leur bouche.
On pourrait en mourir,
rose après rose,
lys après lys
dans la béatitude de l'excès.
LES AGES
L’enfance
Je n’y ressemblais à rien.
On y voit une rue, deux églises,
une âme si petite que je ne peux plus l’attraper.
Puis vint l’adolescence
Un luxe inutile,
un sang léger comme celui des fleurs,
une inquiétude de gibier
et de petites mains sales qui rêvent de saisir.
Mais à trente ans
Je fus un jardin de Florence,
du soleil à en mourir,
sur ma poitrine un homme tombé d’ailleurs,
pour toujours.
Portraits
Qu’est-ce qu’une orpheline ?
Pour moi, c’est une petite fille en sarrau noir,
avec un nez charmant sous des lunettes d’acier,
et l’impertinence de sa gaité triste.
C’est la chèvre de Monsieur Seguin qui regarde vers
le loup.
C’est beau un loup.
Cela peut servir de père.
J’avais six ans.
Extrait de Don Juan (Femmes des Longs Matins).
Sais-tu, malgré ton feu, combien court est ton temps,
Que des femmes sont nées dont tu n'es pas l'amant,
Que blessé mille fois aux dents de tes mortelles,
Tu t'en iras, Juan, juste avant la plus belle.
Je voudrais te dévaster d'amour
comme les cigales mangent les champs
et que tu sois nu de toi-même
et qu'il n'y ait que moi pour te recouvrir.
Tu ne saurais plus
où tu commences, où je finis.
Emmêlés dans la chair et l'esprit,
brûlés vifs l'un sur l'autre,
se riant du plaisir
comme les enfants, l'hiver,
qui ont enfin chaud
dans la chambre chaude.
Vais-je entrer dans ton âme tonnante
où les torsions des douleurs sont de pierre?
Vais-je allumer les orgues
où la plainte et le désir s'étreignent,
sonder les plaies où tu cries?
Dois-je te quitter sans avoir rien compris?
Suis-je née pour la damnation des autres?
Ai-je un enfer à partager?
Insomnie
Mon âme se débattait comme un enfant perdu.
Couchait-elle avec les démons de l'enfance?
Etait-ce la folie, je la croyais si blanche?
La tendresse, pieds nus, ne savait où aller.
Mes péchés me parlaient, c'était le temps des juges.
Je caressais un corps et je me pardonnais.
L'aube me guérira d'un peu de soleil triste.
Doit-on mourir souvent pendant que l'on existe?