Delia était fermement décidée à lui laisser croire qu’il pourrait la séduire, qu’elle se consumait de désir pour lui. Elle lui ferait penser ensuite qu’elle était mûre à point, tant et si bien qu’il tendrait le bras pour la cueillir… et qu’elle s’empresserait alors de rentrer dans le Surrey, sa virginité et son honneur intacts.
C’était sous l’empire du désir qu’il l’avait embrassée. De cela, elle était certaine. Il l’avait caressée si gentiment, et il lui avait murmuré des mots doux avec une telle tendresse… Un homme motivé par de sombres calculs n’aurait pu agir ainsi. Et pourtant, qu’en savait-elle au juste ? Peut-être les séducteurs invétérés étaient-ils habitués à de telles manœuvres. Peut-être s’arrangeaient-ils pour que leurs victimes languissent après eux comme elle se languissait de lui… Il ne lui était pas apparu, quand elle avait initié cette folie, qu’il parviendrait si facilement à un tel résultat.
Quel homme ne se serait pas réjoui ? Comment faisait-elle pour avoir des lèvres d’un rose aussi profond ? Sans doute les fardait-elle. Aucune femme ne pouvait avoir naturellement des lèvres d’une telle couleur.
Pourtant, l’aspect n’était pas celui du rouge à lèvres. Sa bouche avait une apparence des plus naturelles. Cela faisait des jours qu’Alec ne l’avait plus embrassée, mais il se souvenait avec une douloureuse clarté du goût de ce baiser. Les lèvres de Delia Somerset – chaudes, douces, tendres – étaient délicieuses.
Il l’avait trouvée jolie lorsqu’ils avaient fait connaissance, avec ses longs cheveux noirs et ses yeux noisette. Et lady Lisette dansait magnifiquement. Elle riait chaque fois qu’il le fallait. Sa conversation était légère et charmante. Sa lignée familiale impeccable, sa fortune impressionnante. Il n’aurait eu aucun mal à rassembler l’enthousiasme nécessaire pour aller au lit avec elle. En somme, elle était le portrait craché de la jeune femme que tout comte influent doit épouser.
Cependant, le pire n’était pas que lord Carlisle puisse avoir envie de flirter avec elle. Nombreux étaient ceux qui s’adonnaient à ce passe-temps. D’une certaine manière, cela pouvait être considéré comme un sport de gentleman – surtout pour un homme tel que lui. Ce qui la troublait davantage, c’était qu’il avait semblé se féliciter que les vieux ragots concernant Millicent Chase puissent renaître de leurs cendres.
Il ne l’avait plus touchée non plus, mais il avait l’impression de pouvoir encore sentir la douceur de sa peau satinée sous ses doigts, et le goût de miel de sa bouche sur ses lèvres. On aurait dit que son corps s’était doté de terminaisons nerveuses dont il ignorait tout jusque-là, dans le seul but de ne pas oublier ce qu’il ressentait lorsqu’il la caressait et l’embrassait.
Il était déloyal de posséder une telle arme de séduction. Elle aurait préféré qu’il s’en tienne à son habituel rictus caustique. Même ses yeux sombres, qu’elle avait jugés si froids et calculateurs la veille, paraissaient à présent chaleureux. Ainsi, il n’avait plus rien d’un séducteur sans scrupules.
Il aurait voulu la dévorer de baisers, mais il s’était contenté faute de mieux de la provoquer, de la titiller, de la séduire. Il en était à s’émerveiller des effets que produisaient ses joues empourprées sur une certaine partie de son anatomie quand lady Lisette était arrivée.
Ses amies mariées l’avaient mise en garde, sur le ton de la confidence, contre de tels hommes qui se livraient, guidés par leurs passions animales, à toutes sortes de débordements. À cet égard, celui-ci paraissait plus sauvage et dangereux que la plupart.
C’était un bonheur d’être environnée par tant d’odoriférante douceur. L’eau elle-même paraissait très douce. Était-ce le résultat de l’huile parfumée, ou l’aristocratie bénéficiait-elle d’une eau de meilleure qualité que le reste de l’Angleterre ?