Bruno Doucey lit des poèmes extraits du recueil "
Ton ventre est l'océan", d'
Anne Bihan, Éditions
Bruno Doucey, 2011.
écrire
comme traverser la mer
les murs les morts
les mots cherchés pour
se dire
en passant la Ligne
se tenir entre
à la toute fin
femme entre à jamais
et par-delà les fissures et les gouffres
choisir
l'effacement sans fin de toutes choses
Corne la brume est pleine
Corne la brume est pleine
à Ouessant
du gémir des âmes guettant
l'éclaircie
où glisser leurs prières
Corne la brume est pleine
à Ouessant
du désir des hommes embarqués
qui rêvent
à des grains de peau
Corne la brume est pleine
à Ouessant
du vouloir des femmes relevant
le casier des grèves
où remue leur impatience
mais soudaine une lune de sang défait
les draps du ciel et de la mer.
Décalage
dans le ciel courant l'heure du soleil cherche à te rattraper
la nuit craque d'impossibles blancheurs éclairs d'orages
l'avion bat coeur chaud sous l'aile métallique le temps
d'en bas
croît nous saisit s'éloigne
l'enfant dit:
nous irons plus vite que le jour dans la grande nuit
Peu avant le printemps
le ciel traîne ses blancheurs migratoires
une dernière branche casse au cerisier
nu le petite chèvre tient jusqu'au matin
dans les friches du jardin une flaque s'attarde
l'oiseau boit la lune
Ciels
pierres
saisons
extrait 5
Il semble qu’il fasse beau
sauf
ce geste d’abandon d’une branche
obstinée à la noirceur la nudité
sauf
ce résidu d’ailes broyées ressurgi
de la terre en travail
sauf
ce halètement du souffle
qui convainc de l’inavouable
…
Graines
plumes
coquillages
extrait 10
Se tenir
entre reconnaître
à la source la radicale étrangeté
de l’autre tous ces autres sans qui
nos visages forêt sans lumière
impossibles à voir
oser l’ombre debout de l’ignorance
se tenir
entre laisser
aux informes le cirque mensonger
de l’abrasement universel et lui
préférer les appartenances plurielles
et jubilatoires
guetter le sens à la racine du geste
Se tenir
entre donner
aux enfants du ciel des bras
armés de la même innocence et quand
la nuit viendra danser sur nos épissures
prendre le risque de l’espérance.
…
Amer I
Variation 2
Regarde
ce banc
à saute-mouton
de poissons
tu dois
pour toujours
compter avec la mer
écoute
les cornes
des bœufs
emportés
par le vent
ne la quitte pas
des yeux
goûte
ce mulon blanc
les yeux
point noirs
des civelles
ne regrette rien
ton ventre est l’océan.
Ton ventre est l’océan
Être ni l’un ni…
Extrait 3
être chaine et trame de la
natte promise où assis debout bruisse
le monde et la joie reconquise
des simples des pauvres des affligés
des affamés nommer la soif et l’eau la peine
et la miséricorde le doux
et la douleur de ce qui est en nous
guette l’infinie présence
de la source
et mains vides s’avancer vers la montagne où l’Enfant
au semblable
s’abandonne.
Ton ventre est l’océan
Graines
plumes
coquillages
extrait 5
Paille cendre
bois rongé
sous la lune rouge
cases qui ne naîtront plus
flèche pirogue
incinérées
un enfant vide
son bâton de pluie
la montagne en feu
dit adieu au dernier bruissement
d’herbe
et d’eau.
…
Graines
plumes
coquillages
extrait 13
Deux ciels s’épousent à la césure des mers
de l’un je reconnais la langue goémonière
de l’autre les voix ouvertes à qui suit ses chemins
de l’un les pierres debout les nuits de grande lune
de l’autre les vallées qui puisent dans la chaîne
de l’un ce fleuve cette île le vent fort ce matin
la pâque du clocher qui sonna pour les miens
le père parti trop tôt la mère dans la violence
d’un novembre d’orage
le chant d’un coquelicot tremblant sur son corsage
de l’autre ce Noël flamboyant de soleil
d’amour de joie têtue d’étreintes enfantines
cette petite fille surgie sous ses ombrages
riant sous le manguier
où ses frères jouent à vivre dans d’autres paysages
il est des monnaies-plumes
des monnaies-coquillages
papillons notous et passereaux
dents poils de roussette et sapi-sapi
cauris couteaux fibres de cocos
deux pays s’étreignent là où je m’assemble
ce cahier est sans retour
…