-3 janvier-
J'écris ce journal pour montrer l'usure et me demander pourquoi j'en réchappe.Ce journal est l'incarnation de cette résistance. (...)
20 janvier
Si parfois je n'écris pas pendant plusieurs semaines, c'est parce qu'il y a des jours vides. (p.13)
Un complément pour ce petit livre, que j'ai vraiment "savouré":
Critique de Catherine Dupérou [Matricule des Anges, n° 040- septembre-octobre 2002]
" Journal d'une serveuse de cafétéria
La narratrice du premier roman d'Anne Buisson est serveuse dans une cafétéria. Elle attend les clients, remplit, puis vide leurs assiettes avec le sourire. Elle observe aussi le petit monde de ce biotope alimentaire. Et note les épisodes de cette "vie ordinaire", expression choisie comme sous-titre au Journal. "J'écris ce journal pour montrer l'usure et me demander pourquoi j'en réchappe. Ce journal est l'incarnation de cette résistance. Chaque jour, les mêmes personnes recommencent ce cycle infernal du repas : ingestion, digestion, déjection." Sur une période de presqu'un an, elle consigne anecdotes et réflexions, pour "faire de ce quotidien une histoire à raconter".
Presque chaque jour, "si parfois je n'écris pas pendant plusieurs semaines, c'est parce qu'il y a des jours vides". Parfois juste une phrase, "le chef est un lâche", pour fixer le temps au gré de ses humeurs, "penser à trouver un travail à la hauteur de la conscience que j'ai de ma propre valeur". Sans effets elle raconte les clients, les confidences, "l'homme blessé me dit qu'il parle à son mur". La drague et les faiblesses "je suis passée dans le bureau et j'ai vu une liste d'achat que le chef avait laissé traîner. Le chef ne sait pas écrire, il doit avoir à peine le niveau de la sixième. J'ai été assez touchée".
Sans complaisance, ni pour soi ni pour les autres, "je hais l'insistance que je déploie pour rester à la cafétéria et qui n'est l'indice de rien". Souvent avec une drôlerie teintée de pathétique, ""un steak bleu comme vos yeux s'il vous plaît" m'a demandé un client. J'ai fait cuire son steak et en lui montrant l'assiette, je lui ai demandé s'il trouvait que le steak en question avait réellement la couleur de mes yeux".
Pour ne pas se laisser contaminer par les odeurs, les bruits, la vulgarité ambiante et l'ennui. Ne pas se dissoudre dans ce travail où le temps se dilue. Où la vie passe sans qu'on ait appris le métier de vivre. "Pendant que je balaie, je pense à mon père qui a travaillé toute sa vie, il est mort à cinquante ans, il n'a jamais vu la retraite." Loin de la nouvelle cuisine littéraire, voici un livre revigorant. À savourer lentement."
Monsieur B. m'appelle Zora. J'aime ce surnom.
Je tutoie les clients depuis un certain temps, ce que le chef ne supporte pas, mais il manque de courage pour me le dire; je profite de cette faille allègrement. La familiarité que j'ai avec les gens me sort de cette condition de simple serveuse, ils s'épanchent plus facilement, et curieusement ils deviennent plus polis, plus respectueux. Nos rapports s'en trouvent en quelque sorte clarifiés. (p.25)
24 juillet
Aujourd'hui, une rage incontrôlable en balayant. Une petite haine, toute en rétention, contre rien. (p.63)