Nous enfants de géhenne, dessaisis de nos biens, laissons moisir les chaumières... Nous sommes peu nombreux à connaître encore les chants par coeur.
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Nous espérons un jour regagner nos terres.
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Nous parcourons des pays sans fenêtres, leurs maisons tracées à la craie. les enfants-allumettes dorment parmi les jacinthes.
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Deux oisillons qu'on étête,
deux doigts à lécher.
Marchons dans la forêt,
intoxiqués et joyeux.
mais comme on croit
la personne qui sourit
tandis qu'elle nous détrousse
j'ai ouvert ma bourse
Tu disais
les nacelles iront mourir
au croisement de nos doigts
tu dessinais dans la neige
le triangle fatidique
j’étais l’océan
tu maudissais les algues
je dispersais notre amour
sur un pays sans existence
Il m'est étrange de constater comment, depuis la perte de l'enfance, les mots m'apparaissent physiquement plus petits, mais ô combien plus vastes à l'intérieur.
Un pas, puis un autre, vers l’écrasement du souffle. Rien à faire, rien à penser. Des maïs à
demi décomposés jonchent la terre que piétinent les corneilles. Le soleil n’apparaît pas plus
que je ne parviens à lire le testament qui tremble entre tes doigts. L’odeur de tes cheveux
rappelle les fruits mûrs et fond en moi comme une douleur. Tu lis à voix basse ces mots
tracés dans une langue connue de toi seul et la musique s’élève, ancienne, dans les chemins
fleuris. Soudain, tu couvres ton regard de tes mains, et tout s’efface. Le contour de ton
ombre me reste entre les bras, comme un chiffon. Il n’y a pas de but, pas de fin. Il n’y a pas
de lieu où se retrouver. Seulement des astres découpés dans le sol, déchiquetant la lumière,
la broyant jusqu’à en faire un petit paquet de rien, un petit tas de confettis dans la paume,
présage d’une fête qui n’aura pas lieu. Des épis de maïs morts jonchent le sol comme des
signes, mais il n’y a rien à deviner. De ma gorge émerge un bruit de page déchirée. À
l’intersection des branches se lève une lune jaune et bouffie. Je ferme les yeux.
À l’heure longue précédant l’aube
Tu croises tes doigts sur ta poitrine
Respirer est à réinventer
Même ton cœur ne va plus de soi
Tu protèges ton visage de tes mains et pourtant
La pluie te traverse comme du papier
L’encre bout dans tes veines
Mémoire de la vie d’avant les hommes
D’avant le commencement
Des étoiles toutes neuves dansent devant ton ventre
Et tu les attrapes entre tes dents
En toi malgré cela plus rien ne se consume
Plus rien ne flambe
Il te faudra cueillir l’écorce
Tout reprendre depuis le début
Combien de lunes avant que ton chant ne monte jusqu’aux cimes
Tout cela t’apparaît si lointain parmi tes semblables
Irréel avec ce goût d’alcool fort
Pourtant tu portes ton regard
Au-delà des glaces scarifiant le grand fleuve
Quelque chose te garde debout
Contre le mur de tir tu regardes ton geôlier
Les yeux du fusil pointent sur ton front
C’est maintenant toi qui le poignardes
Son ventre coule sur tes bras
Et sans même lui arracher le cœur
Tu cours vers le désert
Où nombreuses t’attendent les visions.
Tu me parlais souvent d’un naufrage, de la difficulté que tu avais à en revenir. Et voilà
qu’un matin, ce bateau coule devant nos yeux ébahis, comme une preuve que les rêves
contaminent le monde.
Arrive un moment où le décor ne suffit plus. Les murs, comme des rétines, empreints de ce
même drame qu’ils préservaient du vu et du su d’autrui, ces autres cachés derrière d’autres
murs et vivant d’autres drames, ne parviennent pas à restituer l’agitation des nuits et des
jours.
Les personnages, bien morts et enterrés, devront être amenés en morceaux sur la scène et
tenus à bout de corps afin d’en exhumer la parole.
Je n’arriverai pas à cette cabane à pattes de poules où attend une petite vieille aux dents
pointues, mais à la lisière de mes yeux, où je m’accrocherai pour contempler du dehors le
champ de ruines de mes vies antérieures. Il y a là-bas un grand arbre à romarin où je
m’étendais parfois pour rêver, dans l’odeur rassurante des contrées inconnues.