Anne Muxel

C'est à une exploration des contenus mais aussi des modes de fonctionnement de la mémoire familiale que ce livre veut convier. Cette mémoire, à la fois familière et inconnue, puise dans le passé inscrit au plus profond, mais n'apparaît que si elle vient à la rencontre de l'expérience présente. Comme toute mémoire, la mémoire familiale doit conjuguer tous les temps, passé, présent et devenir. Plus qu'un lien entre passé et présent, elle est le présent d'un passé, gardienne des souvenirs de l'enfance et servante zélée des désirs, des intérêts, mais aussi des revendications et des regrets d'aujourd'hui. Lorsqu'elle entrouvre ses portes, elle fait ressurgir, comme par magie, des odeurs et des sons, une anecdote, une plaisanterie coutumière, un objet ou une photo soudainement réinvestis, la voix fantôme d'un proche avec le souvenir de ses gestes, de son corps, telle image des lieux de l'enfance, un jeu partagé, une recette de cuisine...autant d'évocations oeuvrant comme des perches tendues pour faire ce voyage à rebours. Encore faut-il pouvoir les saisir. Car ce qui fait la mémoire familiale suppose une négociation mystérieuse avec soi-même pour se réapproprier les bribes du passé et faire en sorte que ce dernier vienne s'inscrire à nouveau dans le présent, et plus avant dans sa destinée. Ce sont ces chassés-croisés qui forment le destin des souvenirs et en fixent la trace.

Introduction

Les gens votent d'abord pour un homme, ce qui est dangereux. Alors que voter pour des idées ça a plus de valeur.

Ces témoignages, ces paroles, ont permis de saisir dans sa diversité, mais au plus près de sa vérité, le travail de la remémoration en chacun. Paroles organisant tour à tour, et souvent en même temps, une mémoire du coeur et une mémoire de la raison, un discours de la mémoire et un discours de l'oubli, mêlant dans un même récit des évocations intimistes, spontanées, vibrantes d'émotions et d'affects, avec des rationalisations plus ou moins convenues, dans des versions plus ou moins arrangées, cherchant à donner sens à ce passé; Ces paroles mettent en forme le récit d'une affiliation (ou d'une désaffiliation), façon pour chacun de définir sa position par rapport à sa famille et de restituer l'histoire qui l'a porté. S'organise donc là une sorte de mise en scène de l'existence du sujet entre la restitution d'une histoire collective originelle, donc fondatrice, et la reconnaissance d'une destinée propre. En ce sens, l'interrogation soulevée par les mécanismes de production et de construction de la mémoire familiale est sociologique.

Introduction

Ce qui m'énerve par-dessus tout, ce sont les apriori, les idées préconçues que l'on peut avoir sur le pédé, le drogué, le camé, l'anarchiste, l'intello de gauche ou le facho de droite.

Ce qui relie à sa famille peut être heureux, mais aussi malheureux. La mémoire nourrit de ses remèdes, de ses euphorisants mais aussi de ses poisons.

Introduction

Ainsi la mémoire familiale est-elle d'abord une histoire personnelle et sa reconstruction. Il y a du roman en elle. Une fiction vraie à travers laquelle l'individu, mobilisant son passé, se donne du sens. cela plus ou moins volontairement et bien entendu plus ou moins consciemment, mais l'inconscient est aussi un fécond romancier.

Introduction

La littérature est assez largement mise à contribution. Théâtre par excellence où se met en scène la mémoire familiale, on ne pourrait dénombrer les auteurs et les livres dont cette mémoire est le moteur et le propos.

Introduction

Ce qui fait mémoire est restitué à la façon d'un kaléidoscope mental, se composant et se recomposant pour donner l'image de fragments épars dans une construction pourtant toujours unique et élaborée.

Introduction

Mais le travail de la mémoire ne peut se faire sans le travail propre de l'oubli. A l'oeuvre dans chacune de ces trois fonctions, l'oubli a un rôle décisif.

I. Les fonctions de la mémoire familiale