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Critiques de Annick Demouzon (3)
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Enterrer les morts

Enterrer les morts, mais aussi ressusciter les mots !



J'ai adoré ce style. Sa simplicité, un peu comme on parle à la campagne, avec la poésie du regard et derrière les mots, les non-dits, les sous-entendus. Les phrases percutantes, les répétitions nécessaires, les silences qui parlent. C'est fait pour être lu à haute voix, comme des contes.

Un petit mot pour saluer ici et cette écriture et ce recueil, après avoir lu certains textes deux fois, juste pour le plaisir de la lecture, pour sa fluidité, ses couleurs.



Annick Demouzon utilise un vocabulaire riche et picaresque avec des mots qu'on lit trop peu souvent comme "enfançon, goupiller, accordance, tricotin, une liche de vin" (chez moi on disait lichette) ; et j'en oublie.

Elle se permet des inventions de mots comme "touffée, miauliner, flambillons, s'encaler, embavée de pluie", etc. mots imagés et phonétiquement beaux.

et de belles interversions poétiques et pertinentes comme "le chant stridulé des étoiles et les scintillements infinis de grillons" (page 201)

et de superbes formules comme "l'orgueil stupide du survivant" (page 210)



C'est un recueil où la ruralité est à l'honneur, la terre, la nature qu'elle dépeint avec un lyrisme subtil (exemple 3° § page 119) et surtout les gens, souvent des vieux dont elle brosse le portrait avec acuité et tendresse, et toujours avec respect. J'y ai retrouvé mon monde à moi, celui des paysans, des ruraux, des simples, des disparus.



J'ai des difficultés à placer des bémols dans ces 19 nouvelles, toutes d'une musicalité et d'une construction harmonique incomparable. C'est sûr, elle a du métier, sachant suivre une ligne directrice sans jamais s'en écarter dans un champ sémantique adapté ou alors, c'est pour mieux nous surprendre. Et si l'on pressent parfois la chute, elle tombe à point nommé.



Les personnages, jeunes ou vieux, ont tous "du caractère" (ce n'est pas pour rien que personnage se traduit par caracters en anglais). Des histoires qui font sourire (La ficelle) ou rire jaune (Marguerite) parfois émeuvent (S'en aller) ou choquent (Le Cap Horn, ma préférée)



Ce recueil est d'une grande cohérence. Il mérite un accueil enthousiaste des critiques et offre une grande joie et de belles surprise aux lecteurs. En tout cas, ce fut mon cas, sans modération, à chaque nouvelle, à chaque page. Bravo
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Enterrer les morts

Christine Borie‎, auteur et nouvelliste, à Annick Demouzon

Je viens de terminer, à regret, ton recueil « Enterrer les morts ». Il est d'une puissance et d'une beauté incomparables. J'ai profondément aimé chacune de ces histoires et j'ai relu avec plaisir « La chambre » que je connaissais. Mais quelle écriture, Annick! Cela me laisse rêveuse et je réalise tout ce qui me manque. J'ignore comment on peut écrire ainsi et cela me dépasse. Je ne peux que lire et me laisser transporter dans des histoires somme toutes très ordinaires mais que je n'aurais pas imaginées. Merci Annick pour cette formidable leçon d'écriture. LIRE les autres avis en CLIQUANT sur le lien ci-dessous.
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Virages dangereux

Voici la critique parue sur le site de la revue Rue Saint Ambroise. Elle est signée Alain Kewes, un grand nom de la nouvelle et un éditeur respecté:



Virages dangereux,

d'Annick Demouzon



Le titre du recueil d’Annick Demouzon est une définition de la nouvelle : Virages dangereux. Le virage est ce moment de la route où la vie dévie de la ligne droite, réputée sans histoire. C’est assez dire que l’histoire naît du virage, du changement de direction, plus ou moins soudain, attendu ou pas, bien ou mal négocié. Plutôt mal, en général, comme le chantait désespérément Alfred de Musset. Mais quand bien même l’histoire se terminerait bien – ça arrive dans la vie comme dans la fiction –, le virage aura été dangereux puisqu’il contenait en germe la possibilité de l’accident. Ainsi des nouvelles de ce recueil, à la tonalité sombre, et l’on entre très vite dans le vif du sujet avec le premier récit que n’aurait pas renié un Alfred Hitchcock, explorateur d’âmes biaisées.



Un mot encore sur la métaphore routière du titre, afin de mieux comprendre l’esprit de ces textes. On use parfois des termes de carrefour, de croisées des chemins, à propos de la nouvelle, laissant entendre qu’il y aurait choix de plusieurs routes, doute, hésitation, dilemme sur la conduite à tenir. C’est oublier l’essentiel : le lecteur n’est pas l’auteur, il ne décide de rien, ne peut rien empêcher, rien modifier, il accompagne le personnage dans la catastrophe inévitable – c’était écrit ! – . Il y a chez Demouzon, comme chez Edgar Poe, une fatalité de l’échec, un dérapage totalement incontrôlé, un glissement vers la chute. Tout accroché qu’on soit à de pauvres buissons, on dévissera petit à petit, et on le sait. Coup de vent, la deuxième nouvelle du recueil en est la parfaite illustration : une lettre d’amour, la dernière d’un homme qui va être fusillé, non sans avoir pu au préalable confier la missive à un camarade plus chanceux, n’arrive pas à sa destinataire, laquelle ne cessera, sa vie durant, de l’attendre. Les buissons, ce sont les mille hasards qui auraient permis que la lettre lui parvienne néanmoins. On s’y accroche en sachant que non, ni aujourd’hui ni demain, ni jamais, la chance, aucune des coïncidences qui pourtant ne manqueront pas, ne tourneront du bon côté. La lettre parfois frôle cruellement son but. Mais elle le manque. Ainsi en a décidé l’auteur à la plume légère, portée par le vent, et le lecteur n’y peut rien. Il s’abîme avec les personnages et il le sait dès les premières lignes (ce n’est donc pas déflorer l’intrigue, gâcher le plaisir du lecteur, que de dire cela ici).



S’il arrive, par extraordinaire, qu’un peu de beauté naisse, mettons un tableau peint la nuit au bord de la rivière, qui pour le voir ? Qui pour y croire ? Là encore, on joue de malchance, c’est-à-dire nous tous, lecteurs et auteur confondus, qui disposons les pièces d’un puzzle dérisoire qu’une pichenette inattentive éparpillera. Avec méthode, Annick Demouzon explore les voies de la défaite, mais le jeu, à l’instar du virage, est dangereux. Amer. Dans Vous m’avez tant donné, un homme prétend refaire le chemin à l’envers, remonter à la source, à avant le virage. S’il parvient à régler ses comptes, en est-il réellement plus heureux ? C’est d’ailleurs une autre caractéristique des nouvelles du recueil que de montrer ses personnages dans l’après, quand tout est consommé. On peut alors chercher à comprendre comment on en est arrivé là, à quel instant précis la vie a dérapé, mais cette connaissance ne change rien, n’effacera pas les traces de gomme sur le bitume. D’ailleurs, ce voyage retour, il est rare qu’on l’entreprenne, qu’on puisse le faire. Dans une sorte de postface à la nouvelle ci-dessus, l’auteur tient à préciser qu’elle lui a été inspirée par un fait réel en tout point identique, sauf que dans la réalité, tout l’argument de la nouvelle n’a pas eu lieu. On en revient alors au jeu, au jeu amer qui consiste à transposer dans une fiction ce qui n’arrive pas vraiment. A se bercer d’illusions. La vie, la vraie, ressemble plutôt à Allo, c’est toi ? où le narrateur se pose la désespérante question « Est-il trop tard ? Est-il vraiment trop tard ? »



Comme ceux de Raymond Carver, les personnages d’Annick Demouzon sont des ratés du plaisir, du bonheur, comme se définit lui-même le héros de Prolégomènes au plaisir de l’infinitude. Incapable de profiter de la vie, il se perd en conjectures, en vaines et dérisoires recherches, interrogeant tour à tour différents –ismes. L’un de ceux-là lui procure au moins l’euphorie transitoire du vide, Pascal aurait parlé de distraction : « Il bricola ainsi de longues heures (…). Il y trouvait un délassement de ses pensées, un contetemant vague et informe, qui le comblait (…) une sorte d’euphorie sans objet, ou de délectation profonde, dont il n’avait nulle conscience, mais il était tout entier immergé dans ses gestes. Il ne pensait plus. ».



Bien sûr, échouer n’empêche pas de persévérer et si les portes sont toujours fermées, ou s’il n’y a jamais rien derrière, rien n’empêche de chercher à les ouvrir, à y aller voir. C’est ce qu’on appelle vivre, quand même. Certains s’y adonnent pendant des dizaines d’années, nul ne soupçonne leur solitude radicale, entre quatre murs et un miroir. Le virage, pour eux, est si loin derrière qu’ils l’ont oublié. Ça a toujours été comme ça. Il n’y a jamais eu d’avant. Pour d’autres, c’est pire encore et l’on ne dira rien du très beau Première partie pour n’en pas fausser la révélation progressive, sinon qu’une fois encore l’auteur joue, ici sur les mots, un jeu toujours aussi triste, une sorte d’élégance du désespoir.



Il n’y aurait rien, donc, pour sauver l’humanité ? Aucune épiphanie, aucune issue ? Allons ! Il ne manque pas d’autres livres pour nous en convaincre, ne demandons pas à un seul recueil de contenir toutes les possibilités, tous les états d’âme de son auteur. Buvons plutôt jusqu’à la lie la cohérence, l’unité de style, de ton, de celui-là, et n’en tirons aucune conclusion ridicule sur le reste. L’écriture, l’art en général, a aussi une fonction d’exorcisme. A explorer les voies de la défaite, à rater systématiquement les virages, peut-être se forge-t-on un moral, se trempe-t-on une âme. A cultiver le souffle court, le rythme haché, elliptique, fragmentaire, peut-être se gagne-t-on une période. Au moment d’accoucher, les obstétriciens conseillent de haleter, de faire le petit chien. Un livre est toujours un accouchement, une expulsion. A la fois naissance et mise à distance, il s’agit de sortir de soi ce qui pèse. D’ailleurs même ici, faiblement, quelque chose palpite encore (ou déjà), envers et contre toutes les évidences. Ce peut être la caresse d’une mère sur le front trempé de sueur de son fils, ce peut être aussi un arbre. Dans le Cerisier, une touche d’espoir affleure, cet arbre justement, planté tard, quand tout, autour, se fige, se pétrifie, perd son âme. On fait semblant de croire aux enfants qui s’extasieront devant les fruits rouges, un jour, plus tard, mais à l’André, ça lui fait une belle jambe, comme on dit. A croire que la vie obstinée de l’arbre n’est là que pour épaissir l’ombre de la mort, de la solitude. Malgré tout, lui enfonce ses racines dans le sol ingrat, il persiste, il perdure. La narratrice lui a donné la vie. C’est déjà ça.



Il y a mille et une façons de perdre, les virages manqués sont toujours uniques, particuliers. La matière en paraît inépuisable et la nouvelliste la modèle en histoires emblématiques, tantôt réalistes, tantôt hallucinées. Il y a même des chutes qui sont des envols, tel cet enfant gravement malade dont on accompagnera la paradoxale libération, ou cette femme qui endure un assommant repas dominical et dont on croirait presque à la révolte brutale. Ailleurs, c’est la lente descente aux enfers d’un homme qui a tout pour être heureux sinon qu’il croise sur son trottoir la déchéance fascinante d’un clochard. Et cette nouvelle, L’Autre, nous donne sans doute la clé du recueil tout entier. Comment mieux que par sa chute rencontrer l’autre ? On épouse jusqu’à la lie chacune des circonstances funestes, qui horrifient mais aussi fascinent, qui vous entraînent à leur suite et vous font quitter le cocon trop sûr du lecteur qu’on croyait être. Peu à peu, on entre dans la peau de l’autre, on porte son fardeau le temps de quelques pages et l’on en ressort à la dernière phrase, imperceptiblement altéré. Non que le projet compassionnel fût délibéré, mais parce que l’écriture, avec ses nombreuses ellipses, ses intervalles marqués, sa fragmentation, aura su nous inclure dans l’histoire racontée, puisque nous sommes amenés à combler ces blancs avec nos propres peurs, nos doutes, nos manques. Plus qu’ailleurs, le lecteur devient ici acteur, impuissant certes, mais co-auteur du récit. Cette voiture qui dévale la route en lacets serrés, Annick Demouzon nous en a ouvert la portière, nous a invités à y prendre place. Celle du mort, dans le langage commun.



Alain Kewes, auteur et éditeur (Rhubarbe)





• Virages dangereux, d'Annick Demouzon. Éditions Le Bas Vénitien (2012), 175 p.

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