- Un autre, n’importe qui, je comprendrais peut-être et je te trouverais des excuses ; mais ce crétin ! Je ne te le pardonnerai jamais !
Me pardonner ? Mais je n’en veux pas de son pardon ! Et d’abord, en quoi suis-je coupable ? On n’est pas maître de son cœur : on aime, on n’aime plus, nul n’y peut rien. Ah ! comme à ce moment, on sent bien la vanité des mots que l’on a prononcés soi-même, quand on jugeait les autres de loin, froidement ! C’est trop facile d’être magnanime, de glorifier le devoir, ou d’être intransigeante au nom de la "morale", quand cela ne vous coûte personnellement aucun sacrifice...
Non, jamais plus, je ne connaîtrai ce miraculeux état d’inconscience, de démence amoureuse, de jalousie qui enfièvre... Oh ! ma belle flamme de jadis, mon exaltation, mon amour de l’amour, mon dédain des préjugés, mon mépris de tout ce qui était le bon sens... pourquoi ai-je tout usé pour celui-là ? Pourquoi ne me reste-t-il plus rien de naïf, de frais, de fou, pour celui qui viendra : rien qu’un amour raisonnable, mesuré, un peu académique...
- Ne prononcez pas de mots apaisants, ce serait le remède qui engourdit sans guérir, qui prolonge inutilement... La résolution que je prends aujourd’hui, Pierre la prendrait demain ; de même que moi, il se lassera... Il n’y a plus rien à faire, nous nous sommes déchirés, déchiquetés à plaisir, dirait-on... ; nous sommes de pitoyables ennemis, nous n’avons plus qu’à nous sauver en hâte, loin l’un de l’autre, si nous voulons éviter de nous haïr tout à fait...