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Citation de mamansand72


Lumière
Mardi après mardi, elle échoue. Elle entraîne son père dans des détours sans fin qui la laissent furieuse, contrariée, et encore plus éloignée de l’appartement qu’au début de l’exercice. Mais au cours de l’hiver de sa huitième année, à sa grande surprise, elle commence à se repérer. Elle passe les doigts sur la maquette dans la cuisine, comptant les bancs, arbres, réverbères, porches. Chaque jour, un nouveau détail ressort – chaque grille d’égout, banc public, bouche d’incendie miniature a sa contrepartie dans la réalité. Même quand elle se trompe, elle ramène son père toujours plus près de leur domicile. Quatre, trois, deux pâtés de maisons. Et par un mardi neigeux de mars, alors qu’il l’emmène jusqu’à un nouveau point de départ, tout près des quais, la fait pivoter trois fois sur elle-même, et dit : « Ramène-moi à la maison », elle s’aperçoit que, pour la première fois, la peur ne la prend pas aux tripes. Au lieu de paniquer, elle s’accroupit sur le trottoir. L’odeur vaguement métallique des flocons qui tombent l’environne. Calme-toi. Écoute Des automobiles passent le long des rues en éclaboussant les trottoirs, la neige fondue forme des rigoles. Elle entend les flocons passer à travers les branches des arbres. Elle distingue l’odeur des cèdres du Jardin des plantes, à quatre cents mètres. Ici, le grondement du métro sous la chaussée : c’est donc le quai Saint-Bernard. Là, le ciel se creuse, un bruit de branchages : c’est l’étroite bande de jardins derrière la galerie de Paléontologie. Par conséquent ils se trouvent à l’angle du quai et de la rue Cuvier. Six pâtés de maisons, quarante immeubles, dix arbustes dans un jardin public. Cette rue-ci croise celle-là, qui croise celle-là. Un centimètre à la fois. Son père tripote les clés dans ses poches. Devant eux, les hauts, majestueux bâtiments qui flanquent les jardins, répercutant le son.
– Allons à gauche, dit-elle. Ils remontent la longue rue Cuvier. Un trio de canards vole dans leur direction, battant des ailes en harmonie, gagnant la Seine, et comme ils les survolent, elle croit voir les rayons de soleil se poser sur leurs ailes, touchant chacune de leurs plumes. À gauche, dans la rue Geoffroy-Saint-Hilaire. À droite, dans la rue Daubenton. Trois, quatre, cinq bouches d’égout. Derrière elle, les grilles ouvertes du Jardin des plantes, avec leurs barreaux comme ceux d’une immense volière. En face : la boulangerie, le boucher, l’épicerie de luxe.
– On peut traverser, papa ?
– Oui. À droite. Tout droit. Ils remontent maintenant la rue, forcément. Juste derrière elle, son père doit marcher la tête renversé en arrière pour faire un grand sourire au ciel. Marie-Laure en est sûre, même si elle ne voit rien, ne dit rien – les cheveux de son père sont mouillés par la neige, plaqués sur son crâne, son écharpe est de travers sur ses épaules, et il adresse un grand sourire radieux à la neige. Les voici au milieu de la rue des Patriarches. Marie-Laure trouve le tronc du marronnier qui pousse devant la fenêtre de sa chambre au quatrième étage, l’écorce sous ses doigts. Un vieil ami. L’instant d’après, son père l’a soulevée par les aisselles, ils font l’avion. Elle sourit, et il éclate d’un rire pur et contagieux, un rire dont elle se souviendra toute sa vie. Tous deux tournoient sur le trottoir devant leur petit immeuble, riant en chœur tandis que la neige continue à goutter entre les branches.

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