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Citation de Mortuum


Rauno fit remarquer que les Finlandais avaient élu une femme à la présidence de la République, une militante de gauche qui avait cultivé une parcelle voisine de celle d’Eveliina dans ces jardins ouvriers. Il ajouta avoir lui-même été toute sa vie un authentique prolétaire. Il n’y avait rien de mal, selon lui, à ce qu’un ouvrier s’enrichisse un peu, au moins une fois de temps en temps. Son argent ne faisait pas de lui un exploiteur.

Selon Rauno Rämerkorpi, les défenseurs de la cause ouvrière n’étaient mus que par l’envie et la jalousie. Mais ni Marx ni Lénine n’en avaient jamais soufflé mot, pas plus que Tuure Lehén ou Otto Ville Kuusinen. Dès que la situation financière d’un camarade s’améliorait un tant soit peu, on l’expulsait des rangs du prolétariat pour l’expédier de force dans le camp adverse et du même coup au goulag ou au gibet. La métallurgiste pensait-elle être la dernière communiste au monde ? L’expérience socialiste, en Russie et ailleurs, montrait que la cause était trop noble pour être confiée à des rustres envieux.

Eveliina : On ne peut pas mettre les erreurs de l’Union soviétique sur le dos de tous les travailleurs. C’était une dictature.

Rauno : La dictature du prolétariat.

Le conseiller à l’industrie grogna que le totalitarisme soviétique avait tué soixante-dix millions de personnes, l’allemand peut-être trente.

Eveliina lui suggéra de considérer la question sous un autre angle. Si le Troisième Reich avait été socialiste et l’URSS national-socialiste, le nombre de morts aurait été à peu près le même. Les masses russes étaient plus nombreuses et les Allemands, malgré leur énergie et leur volontarisme, n’égaleraient jamais leur force de destruction. Rauno restait en dépit de tout un représentant du capitalisme, ses anciennes convictions de gauche n’y changeaient rien.

Eveliina : En tant qu’homme, tu es tout à fait OK, mais que tu le veuilles ou non, tu cherches à faire du profit.

Le conseiller à l’industrie répliqua qu’il fallait bien constituer des réserves pour préserver l’emploi des ouvriers. S’il distribuait ses bénéfices à ses salariés, sa société ferait vite faillite et mille personnes seraient à la rue. Il y avait une grosse différence entre des activités commerciales normales et la spéculation en Bourse. Les investisseurs internationaux s’en donnaient à cœur joie maintenant que la gauche avait cessé de s’opposer à eux. En quelques secondes, les agioteurs transféraient des milliards d’un pays à un autre, les boursicoteurs flairaient en temps réel les meilleures affaires. Si des petites filles fabriquaient en Inde des composants électroniques à moitié prix, les capitaux s’y précipitaient pour ramasser le pactole et, une fois le filon épuisé, se ruaient aux

antipodes pour saigner à blanc une nouvelle victime, sans se soucier le moins du monde de polluer des régions entières et de laisser sur le carreau des dizaines de milliers de gens.

Eveliina : Ne crie pas, les voisins vont t’entendre, les murs sont comme du papier, ici.

Rauno : Ma société ne sera jamais cotée en Bourse ! S’il n’y a pas moyen de trouver des capitaux autrement, tant pis, plutôt faire faillite !

L’industriel tonna qu’il était plus à gauche que la plupart de ses ouvriers, à part Eveliina.
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