the pets of the poets
(ou les animaux de compagnie des poètes)
J’ai pris moi aussi
une plante de compagnie
un ficus attentif à tout ce que je dis
Ce matin
je l’ai promené
à travers la garçonnière de la poésie
entre des immeubles en quarantaine
avec des murs en dépression
Je marchais dans la rue
en file indienne avec les nuages
je m’engouffrais dans le bitume brûlant
jusqu’au nombril
jusqu’au cou
Moi aussi je me comportais à présent
tel un ficus chassé
laissant ses marques
sur chaque clôture
tel un suspect de poème-virus
(Ionuț CALOTĂ)
Qu’est-ce que mon âme ?
Qu’est-ce que mon âme
sinon une nuit suspendue à la terre
parlant avec les scies des nuages
et de la sciure de paix
du corps des dieux jetée
sur les épaules des vierges.
Pendant le sommeil on entend couler la lumière
quand ta plaie bleue contourne l’espace
immaculé de la fleur et que ton front s’unit
avec le martèlement énervé de la constellation dans le ciel.
Je pressens que bientôt je serai tenté par le scintillement
de ton genou blanc dont surgissent des poissons uraniques
et que je m’effondrerai debout
vers la fontaine qui illumine mes yeux.
Et la vapeur de l’être torpille
le silence le retournant vers nous
et nous aimons nous traîner à genoux
jusqu’à ce que le jour lave la terre au moyen de tonnerres.
(Radu Ulmeanu)
La mort est un diamant avec plusieurs facettes
nuit après nuit dès que je ferme les yeux
je meurs différemment tandis que les derniers instants
se dilatent comme une femme à l’accouchement
je croyais avoir expérimenté
toutes les façons de mourir
mais je me suis trompé
le supplice de la roue les fourches levées
l’empalement la guillotine le bain d’huiles brûlantes
le sacrifice dans un temple maya
et tout ce qui nous est arrivé d’autre
nous sommes devenus de simples bagatelles
car le dieu qui a maudit en se disant mon père
se distille en moi péniblement
et invente toujours autre chose
le plus cruel c’est cependant
quand j’ouvre les yeux cernés
par la brûlure du cauchemar
car je vois à travers le sulfurique brouillard
tourner en ronds de plus en plus petits
toujours la même grue cendrée avec son bec en onyx
dont s’égouttent les restes
de mon sang infesté
la mort est un géant diamant noir
avec plus de facettes que le Koh-i-Noor
me dis-je tandis que je tente de m’évader
en chevauchant follement et l’épée à la main
des tortues volantes du maître de Hobița
(George Mihalcea)
Que leur dire d'autre
que dire d'autre à grand-mère
sur son jardin de rosiers
où poussaient un peu n'importe comment
des chrysanthèmes et trois cents lys
que dire d'autre à grand-père
sur ses chevaux enterrés
si ce n'est que dans le silence de soie
des nuits des saisons oubliées
je les entends encore galoper
bien plus vivants que nous-mêmes
que me dire à moi-même
sur le noyer où je m'étais fait un royaume
alors qu'il n'y a plus ni grands-parents ni chevaux
ni forêt ni pré ni village
quelqu'un a regardé ennuyé
mes souvenirs
et les a coupés net
George MIHALCEA
La culpabilité du silence
je souffre de la verticalité
de la chute dans le vide
que tu as laissée dans ton arrachement hâtif
l'étreinte est à présent une distance
mais soudain
pénétrant, du fait de la culpabilité du silence
mon appel t'attire en arrière
comme une chaîne
nous nous aimons encore une fois
de façon déchirante
sur le premier catafalque de neige
jusqu'à ressentir l'envie
de sortir nos armures
ensuite nos chairs se fluidifient
se confondent aux respirations
par nous oubliées ici dans une autre vie
je te demande, tu me demandes
qui nous a dérobé les premières
et leur a substitué
ces ombres qui s'étonnent ?
Valentin IRIMIA
Aux frontières de la prodigalité
Puisqu’on ne reste identique qu’en changeant
L’instant de l’éternité ou bien l’éternité d’un instant
Aux frontières stériles de la prodigalité
Dans le même vieux carnage nous mélangeant.
L’orgueil flottant comme un étendard
Vers la croix d’un temps destiné à attendre
Bondissant fermement sur une échelle sans marches
Nous pousse les os qui brûlent encore.
Mordant à tour de rôle dans chaque parole
Prononcée en lieu et place de prière
Nous nous égarons et nous ne nous
Retrouvons plus de tant d’élan triste.
Ce sont bien des diamants dans l’air ou bien du charbon ?
Comme au ciel, ainsi sur terre ?
(Valentin Irimia)
Radu Ulmeanu
Pendant le sommeil on entend couler la lumière
George MIHALCEA
L’étrange peuple des poètes
les poètes sont un étrange peuple migrateur
se dirigeant vers un continent aux abrasifs silences
on leur refuse l’appellation d’espèce protégée
ils ne sont lus que lorsqu’il est déjà trop tard
pour remédier encore en partie au moins à
la marche de travers sur les eaux
des dieux assignés au portage de nuages
à travers le sommeil souterrain des mots
aucune femme ne ment assez pour les poètes
les seuls en mesure d’évoquer la septième ride
sous les yeux cernés des grandes dames
que les diables les emportent tous ces misérables
qui osent inventer des mers et des îles nouvelles
autres que celles où ils furent exilés
bien avant leur naissance
et pourtant je vous dis encore ceci
si le poète se tait
tous les oiseaux se pendront
à leur propre cri
Fenêtres sans murs
Dans mes rares sommeils, amoureuse que tu es,
Une à une les fenêtres sans murs tu refermes,
Pour que ne nous boivent pas les fantastiques absences
Qui, à trop attendre, se sont immobilisées.
Laisse ouverte une seule de ces fenêtres,
De rupestres poèmes je te dis
Et je t’apporte en dot de sages après-midis,
Tandis qu’à notre noce tu m’invites.
Muettes deviendront les secondes lugubres
Et par-delà les prédestinations et les sens,
Je t’enverrai chaque jeudi
De je ne sais quand et de je ne sais où un bruit
Qui dans tes paupières timides et étonnées
Comme dans des passoires tamise l’éternité.
(Valentin Irimia)
Avant chaque poème
Avant chaque poème
quelqu’un écrit des centaines de codes informatiques
connecte des troupeaux de robots entre eux
éteint des milliers d’explosions solaires
s’entretient avec des écrans télés
écoute le concert pour aspirateur et orchestre
compose des antibactéries
qui ne mourront jamais
fabrique un béton de plus en plus armé
l’acné de plus en plus radiante
et lance depuis l’empyrée
quelques arcs-en-ciel extra-terrestres.
Avant chaque poème
quelqu’un récrit l’avenir
ensuite me hèle
par mon seul nom.
(Ionuț CALOTĂ)