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Gabrielle Danoux (Traducteur)
EAN : 9782322238439
280 pages
BoD books on demand (29/03/2023)
4.75/5   10 notes
Résumé :
Une dizaine de poètes roumains vous sont présentés dans cette anthologie traduite du roumain, classés, non pas dans l'ordre alphabétique, mais de manière aléatoire pour un panorama éclectique de la poésie roumaine de nos jours : George MIHALCEA, Costel STANCU, Constantin SARGHIUTA, Gabriel DINU, Daniela TOMA, Ionut CALOTA, Radu ULMEANU, Mihai CIOBANU, Carmen Maria MECU, Valentin IRIMIA.
J'ai préféré laisser parler la poésie elle-même.
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Critiques, Analyses et Avis (11) Voir plus Ajouter une critique
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Environ 33 500 mots (constituant 270 poèmes) sont passés en trois petits mois entre mes mains (tremblantes de joie) de traductrice. C'est avec immense plaisir que j'ai pétri ce recueil certainement « imparfait » ou, en tout cas « perfectible », mais que j'ai aimé pour sa variété, pour ses nombreux sonnets habilement tournés en roumain qui traitent de thèmes variés, même si la plupart du temps il s'agit du trio classique amour-mort-mysticisme. À noter toutefois, que la réflexion sur la poésie, le communisme (des souvenirs de ces temps pas très glorieux) ou la guerre en Ukraine (Gabriel Dinu) sont également évoqués. Certains poèmes sont même inédits.
Mihai Ciobanu (lui-même poète), courageux meneur de troupes et responsable de l'Association Poemania, a réuni 10 poètes parmi les meilleurs qui créent et vivent actuellement en Roumanie (à l'exception de George Mihalcea, décédé en janvier 2020) et qui sont tous ravis de rencontrer ainsi le public français. Pour trois d'entre eux (Gabriel Dinu, Costel Stancu et Ionuț Calotă) ce n'est pas réellement une première, car ils ne sont pas à leur première traduction en français. Deux femmes également (Daniela Toma et Carmen Maria Mecu), à ma grande joie, car je milite ouvertement pour une plus grande présence féminine dans les lettres roumaines à l'étranger.
Je termine cette courte présentation par de sincères remerciements pour l'aide à l'édition à Daniela Toma et Gabriel Dinu. On a l'impression qu'avec les plateformes d'édition comme BoD tout est simple, mais ce n'est qu'illusion. le travail fourni est considérable et je ne suis pas seule à l'avoir accompli cette fois-ci. Puissent les amoureux de poésie et même ceux de la Roumanie y trouver quelque satisfaction à le lire !
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Dix poètes roumains contemporains. Voilà une oeuvre qui m'a été gracieusement envoyée par la traductrice en personne Gabrielle DANOUX. Merci Gabrielle et en retour je m'en vais vous en dire un mot.

Mon premier émoi :
Costel STANCU 42/p. 48
Un oiseau par la fenêtre s'est jeté
Plume après plume, lentement il est tombé,
En bas, je l'ai espéré, les mains tendues
Mais ce fut vraiment une peine perdue

Entre mes doigts, en goutte-à-goutte son corps :
fin comme le sable, brillant comme une étoile d'or
Pourquoi n'ai-je pas pu le rattraper
Après tout oiseleur j'étais.
Qu'il me chante je voulais, des germes j'avais préparé et
oh
et des graines de raisin au sang de taureau.
Comment aurais-je pu m'aviser
que pour lui seule une cage dorée je désirais ?

Derrière lui il a laissé un billet épistolaire
triste comme celui de tout être suicidaire :
à la fenêtre suspendu
un nid de petits mal défendus.

Désormais oiseleur je ne suis plus ! ai-je hurlé
Avec dans ma poitrine mon coeur dévasté.
À ma mort, dans mes mains, sainte bougie,
un frêle corps d'oiseau à cajoler. Liturgie.

Ici, c'est la ponctuation, majuscule, minuscule qui impulse le ton, le son et surtout la compréhension. Les mots sont adaptés à tout réceptacle émotionnel et je trouve formidable cet aspect de la poésie qui pour moi résonne ainsi :
Émotion, oh petit animal que je voudrais bien posséder, cet autre à moi différent auquel je promets une cage dorée, afin de toujours le garder. Mais, voilà qu'ils s'étiolent, animal ou être aimé, ils s'échappent l'un, l'autre, puis l'un et l'autre par mon incapacité d'aimer. Quand voilà que je trace ces mots, quelques lignes testamentaires, vers mon petit mal aimé, puis à ma mort, dans mes bras, enfin retrouvé, un frêle corps d'oiseau à cajoler. Rédemption.

p. 57
Ils se retrouvaient en ville pour un verre de vin.
Il apportait son chien, elle son parapluie.
Il détestait les étrangers, elle la pluie.
Ils étaient si démodés ! de vieux timbres
sur les coins desquels agonisaient
les yeux troubles de quelques tampons.
Personne ne savait s'ils s'étaient jamais aimés.
Il fumait une pipe en os. Elle avait les cheveux attachés
avec une griffe d'oiseau disparu.
Ils venaient ici depuis toujours.
Ils se taisaient, buvaient du vin et regardaient la rivière.
C'était comme si chacun d'entre eux avait, en secret,
choisi,
son propre poison pour le dernier voyage.
Ensuite il se mettait à pleuvoir. Elle ouvrait
son parapluie et se levait pour partir. Lui, réveillait
son chien et la suivait. Cela avait été un jour ordinaire.
Comme une dispute entre amoureux.

Une grande connivence de ces gens, liés par l'habitude et soudés dans la vie. Ils sont à l'évidence inséparables comme les oiseaux du même nom, et la dame attacha ses cheveux avec la griffe d'un oiseau disparu ; je trouve cette poésie très colorée et bien que renouvelée cette sortie en ville, immuable, est la promesse d'un lien sans cesse renouvelé.

Ionut CALOTÁ 130/p .145
Je pourrais

Bientôt je ne verrai plus,
aussi je me prépare :
chaque jour je mémorise ton sourire,
qui me tiendra lieu de lumière.
Je pourrais écrire des mots,
qui demain n'existeront plus,
fabriquer des falaises dissimulées par le vent
au bord du monde,
et ma chair désépaissir
jusqu'à l'ombre.
Je pourrais être la terre glaise que modèlent
tes mains craintives
et que d'elle surgissent de vieilles chansons
qui font revenir la nostalgie marine.
Oui, si j'avais un tant soit peu su
écrire de la poésie,
j'aurais dompté les mots pour qu'ils t'embrassent,
mais, là, ils explosent silencieusement en moi.
Maintenant, tu peux me prendre dans tes bras
car je suis partout
où tu me cherches.
Ta main dans la mienne,
silencieux l'amour chante.
Je te serre doucement dans mes bras,
comme un accordéon
et je te relâche tout aussi doucement,
tandis que tu chantes.

La lectrice : Oui, je pourrais ne pas t'oublier, de par le monde revoir ton sourire, être glaise que modèlent tes mains et la source marine de ta voix écouter. Si j'avais un tant soit peu su ton absence, j'aurais embrassé ces mots pour qu'ils te chantent mon amour.

Gabriel DINU p. 88
Le chien aux yeux bleus

Après avoir remercié
ceux qui t'avaient offensé
tu es sorti dans la rue.
Là t'attendait un chien
aux yeux bleus et purs.
Tu l'as caressé et tu l'as pris dans tes bras
convaincu que c'était Dieu.
Tu n'avais jamais vu encore, chez personne
de tels yeux.
Tu n'aurais pas pu en voir
à cause de toutes ces lunettes, de tous ces mouchoirs.

La lectrice : Dieu ici m'est un autre, le chien, le chien qu'il m'est donné de voir puisque les humains m'ont offensé ; c'est ainsi que je les remercie de m'avoir ouvert vers lui puisque, à cause de toutes ces lunettes, aveuglements et de tous ces mouchoirs, pleurs, de leurs yeux ils n'ont su me voir.

Lettre ouverte à Adrian Păunescu p. 99

Vieux, depuis que tu es parti,
je n'ai rien compris
même si je croyais
avoir tout compris.
C'est ce qui nous arrive
après chaque mort,
après chaque départ.
Probablement que tu nous observes
depuis un recoin d'étoile,
depuis un recoin de larme,
et n'aimes pas ce que tu vois.
Vieux, depuis que tu es parti,
le froid s'est installé dans toutes les saisons,
et pour nous réchauffer un tant soit peu
nous devrions battre au sens propre
tous les politiciens.
De gauche à droite,
de droite à gauche,
et même ceux qui se disent appartenir
au centre.
Mais en tant que nation laxiste
nous leur pardonnons à chaque fois.

Celle-ci est belle et tendre, adaptable et universelle bien que politisée.

Voilà une belle immersion en poésie roumaine. J'ai tenu à m'exprimer sur mes auteurs préférés à l'exclusion de créations qui m'ont semblées débordantes avec un aspect embrouillé, trop de sujets qui se heurtent les uns les autres en dysharmonie. Ce trait s'illustre avec justesse dans la poésie de Radu ULMEANU dont extrait :

Spectacle p. 151
Le spectacle de ceux qui tuent la poésie
Ils sont nombreux et fragiles
Ils mettent tant de grâce à éviter de dire la vérité.

Ils utilisent les signes des signes
parlent les paroles des paroles
hèlent avec les noms des noms
et élèvent à la puissance infinie
les significations du néant.

Ils disent : nommer c'est tuer
Et ils tuent en esquivant.

Ils soufflent le pappus du pissenlit dans nos yeux,
se promènent en somnambules sur les toits
et nous implorent de ne pas les appeler par leurs noms
pour qu'ils ne sombrent pas.
Lymphatiques et impuissants,
ils parlent une langue décousue,
et sont terrorisés par le sang, l'amour, la douleur.

Ils écrivent d'interminables ars poetica,
tous castrés et apolitiques
ou ars amandi
qui ne traitent pas d'amour…

Je suis heureuse aussi de citer George MIHALCEA 9/p. 24 pour ces :
Chevaux frappés à mort

mes chevaux frappés à mort
personne ne les pleure et ils ont tort
seuls les vieillards vêtus de brouillard épais
ressuscitent pour leur enseigner
comment fuir dans la dernière des forêts
pas encore par la hache touchée
mais le licol du temps les use
et d'en haut un ange noir tombe
en stoppant leurs hennissements hardis
vers les juments du paradis.
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Un recueil qui permet de découvrir dix poètes roumains contemporains, c'est un très beau cadeau, merci Gabrielle Danoux  Dix, c'est un bon chiffre, un bon équilibre entre diversité et approche pas trop superficielle de l'univers de chacun de ces écrivains.
Et ça m'a bien plu de pouvoir ainsi pénétrer un peu dans celui de Ionut Calota, plein de contrastes, avec des motifs inquiétants, comme ce «fil de fer toujours plus barbelé» sur lequel les enfants font des acrobaties, ou cette fleur triste qui a éclos dans la poitrine du poète, mais aussi de la lumière, du chant, de la danse, des images vibrantes comme ces robes électrisées qui s'envolent un peu trop haut… le côté bien vivant est renforcé par la place faite au lecteur, dont le poète prend des nouvelles dès le titre du 1er texte, «Vous tous, comment allez-vous ?». Il s'adresse à une femme qui a pris un poème et en a «fait un cerf-volant ou bien un dragon», une belle image qui sonne pour moi comme une invitation à la créativité du lecteur.
J'ai aimé aussi la façon dont Radu Ulmeanu s'en prend aux castrateurs «qui tuent la poésie», qui voudraient une littérature sans sentiments, sans engagement émotionnel, amoureux ou politique, sans consistance, élevant «à la puissance infinie les significations du néant» - je trouve qu'on a tellement les mêmes en France !
Pas la place ici de présenter les dix poètes, et forcément, ce type de recueil, selon les goûts de chacun, peut paraître inégal, mais c'est une bien belle initiative et on y fait de superbes découvertes.
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Je trouve que notre site de lecteurs a une énorme chance de pouvoir compter parmi ses membres actifs notre amie, Gabrielle Danoux, "Tandarica" sur Babelio.
Elle ne suit pas seulement pour notre gouverne de très près tout ce qui se passe sur la scène littéraire roumaine avec des billets originaux de grande qualité, mais nous apprend aussi à aimer des oeuvres littéraires roumaines qui nous auraient, sans elle, probablement complètement échappées et que maintenant nous pouvons admirer à travers ses merveilleuses traductions en langue française.

J'ai été heureusement flatté de recevoir ce beau livre des "Dix poètes roumains contemporains", mais également embarrassé et gêné par mon manque de solides connaissances en matière poétique, pour pouvoir apprécier toute la finesse et les richesses des poèmes proposés.

Mon éducation poétique a été simplement inexistante et pendant mon enseignement secondaire, nous avons eu un prof de Français bizarre qui ne jurait que par les poètes maudits (Baudelaire, Rimbaud, Verlaine) et, pour respecter le programme scolaire belge, se limitait à en vite énumérer quelques autres ou en lisant des vers, de par exemple Joachim du Bellay, sur un ton ridicule pour faire rigoler la classe !

Je parle heureusement une sizaine de langues plus ou moins bien, ce qui m'a amené à apprécier des mots et expressions pour notamment uniquement leur beauté.

Par ailleurs, j'ai un faible pour la Roumanie, où mon épouse et moi avons fait un grand tour en 1974 qui, bien que ce fût encore l'époque du dictateur Ceauşescu, nous avait beaucoup plu. Tout particulièrement la splendeur du delta du Danube m'est restée vivement en mémoire. Cette contrée, riche en faune flore, au bord de la mer Noire.

Un coin paradisiaque de notre vieux continent, où, du côté ukrainien, le criminel du Kremlin a décidé récemment de semer terreur et destruction, en s'attaquant aux ports danubiens frontaliers de la Roumanie de Reni et Izmaïl !

Impressionné par la qualité et la variété de ce recueil de l'association culturelle POEMANIA, et inspiré concrètement par la poétesse Carmen Maria Mecu, qui écrit à la page 237 :
"la poésie
ma drogue de soirée",
j'ai, depuis la réception de cette anthologie, réservé chaque soir, avant de me reposer, un bon moment de lecture de belles poésies.

Mon seul regret est qu'aucun des dix poètes ne semblent glorifier la beauté naturelle et même sauvage par endroits de leur pays à configuration remarquable.

Le tout premier poème, "L'étrange peuple des poètes" de George Mihalcea m'a tellement plu, qu'à force de le relire, je le connais presque par coeur.

Bref, un livre qui occupera une place d'honneur dans ma bibliothèque.
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Que ne suis-je né roumain pour partager mes vers avec cette noble et brillante ethnie à l'imagination dans les nuages et les doigts feuillus comme branches de sagesse sur le papier de nos rêves ? En sol roumain, dans les Carpathes, dans la plaine, la poésie semble pousser comme menthe folle, il suffit de délicatement l'effeuiller et le rêve se répand en vers tranquilles et inspirés.

On y lit avec fascination les vers illuminés et visionnaires de Ionut Calota:
"Le soleil rêve qu'il traverse la rue"

Ou encore ceux de Radu Ulmeanu
"pendant le sommeil on entend couler la lumière"

On y lit avec passion cette poésie hallucinée de George Mihalcea
"le rêve présent n'est rien d'autre
qu'une histoire inachevée
dont tu ne peux plus sortir
jusqu'à ce qu'il soit dévoré
par les chiens de la mémoire"

On y lit partout avec délices ce chant de l'amour, non pas l'amour mièvre mais l'amour combattant, l'amour vainqueur, synonyme de vie :
"là où il n'y a pas de l'amour, la guerre n'y est pas non plus." (Costel Stancu)

On y rencontre la vie simple, les soupirs, les désirs de l'âme féminine chez Carmen Mari Mecu :
"j'étais triste
bien avant ma naissance
ensuite je suis venue en ce monde
du mieux que j'ai pu"

Ou encore la maternité magnifiée de Daniele Toma:
"je jette vers le haut le miroir et en tombent de petits humains,
il paraît une sorte d'inutile geôle, avec des barreaux se promenant libres
et se recouvrant les uns les autres comme s'ils craignaient
de se dorer au portail du baiser
de le tenir occupe "

On y retrouve avec intérêt cette préoccupation de préserver la poésie comme cette langue à part, garder l'écriture comme une chose précieuse parmi la désolation de notre quotidien, un privilège mais aussi un esclavage:
"contemplons donc un chaussette trouée
jusqu'à ce qu'en suinte de la poésie" (Carmen Mari Mecu)

"Tout ce que j'écris contre moi sera retenu.
M'arrêter je ne peux, m'arrêter je ne peux
même si je sais que jusqu'au bout les mots
mécontents de ne pas en avoir trouvé,
pleinement la signification, se montreront
en mensongers témoins." (Costel Stancu encore)

On y confirme enfin notre profonde intelligence de la poésie avec Mihail Ciobanu:
"la poésie est l'écume des Templiers
c'est pourquoi je ne peux respirer que des métaphores
l'épée sacrée qui fend les ténèbres de l'âme humaine
l'arc voltaïque qui nous purifie des scories
et me rappelle le chant monosyllabique
du daim en rut

le tohu-bohu des montagnes nous délivre du brouillard
la poésie est la communication avec les anges
elle est le rythme sacré des mains qui ont pétri les dieux
elle le dernier espoir... "

Que ne suis-je né roumain pour voir mes vers si poétiquement traduits par Gabrielle DANOUX et répandus en Francophonie comme neige de printemps sur les cimes de la littérature française ?
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La mort est un diamant avec plusieurs facettes

nuit après nuit dès que je ferme les yeux
je meurs différemment tandis que les derniers instants
se dilatent comme une femme à l’accouchement
je croyais avoir expérimenté
toutes les façons de mourir
mais je me suis trompé

le supplice de la roue les fourches levées
l’empalement la guillotine le bain d’huiles brûlantes
le sacrifice dans un temple maya
et tout ce qui nous est arrivé d’autre
nous sommes devenus de simples bagatelles
car le dieu qui a maudit en se disant mon père
se distille en moi péniblement
et invente toujours autre chose

le plus cruel c’est cependant
quand j’ouvre les yeux cernés
par la brûlure du cauchemar
car je vois à travers le sulfurique brouillard
tourner en ronds de plus en plus petits
toujours la même grue cendrée avec son bec en onyx
dont s’égouttent les restes
de mon sang infesté
la mort est un géant diamant noir
avec plus de facettes que le Koh-i-Noor
me dis-je tandis que je tente de m’évader
en chevauchant follement et l’épée à la main
des tortues volantes du maître de Hobița

(George Mihalcea)
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Qu’est-ce que mon âme ?

Qu’est-ce que mon âme
sinon une nuit suspendue à la terre
parlant avec les scies des nuages
et de la sciure de paix
du corps des dieux jetée
sur les épaules des vierges.

Pendant le sommeil on entend couler la lumière
quand ta plaie bleue contourne l’espace
immaculé de la fleur et que ton front s’unit
avec le martèlement énervé de la constellation dans le ciel.

Je pressens que bientôt je serai tenté par le scintillement
de ton genou blanc dont surgissent des poissons uraniques
et que je m’effondrerai debout
vers la fontaine qui illumine mes yeux.

Et la vapeur de l’être torpille
le silence le retournant vers nous
et nous aimons nous traîner à genoux
jusqu’à ce que le jour lave la terre au moyen de tonnerres.

(Radu Ulmeanu)
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the pets of the poets
(ou les animaux de compagnie des poètes)

J’ai pris moi aussi
une plante de compagnie
un ficus attentif à tout ce que je dis
Ce matin
je l’ai promené
à travers la garçonnière de la poésie
entre des immeubles en quarantaine
avec des murs en dépression
Je marchais dans la rue
en file indienne avec les nuages
je m’engouffrais dans le bitume brûlant
jusqu’au nombril
jusqu’au cou
Moi aussi je me comportais à présent
tel un ficus chassé
laissant ses marques
sur chaque clôture
tel un suspect de poème-virus

(Ionuț CALOTĂ)
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George MIHALCEA
L’étrange peuple des poètes

les poètes sont un étrange peuple migrateur
se dirigeant vers un continent aux abrasifs silences
on leur refuse l’appellation d’espèce protégée

ils ne sont lus que lorsqu’il est déjà trop tard
pour remédier encore en partie au moins à
la marche de travers sur les eaux
des dieux assignés au portage de nuages
à travers le sommeil souterrain des mots

aucune femme ne ment assez pour les poètes
les seuls en mesure d’évoquer la septième ride
sous les yeux cernés des grandes dames

que les diables les emportent tous ces misérables
qui osent inventer des mers et des îles nouvelles
autres que celles où ils furent exilés
bien avant leur naissance

et pourtant je vous dis encore ceci
si le poète se tait
tous les oiseaux se pendront
à leur propre cri
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Le réveil dans la réservation des poètes

Tu es le plus vieux des jeunes poètes, m'a-t-il dit
j'ai connu tous tes célèbres voisins
qui circulent en chaise roulante dans les salons
dans ta patrie de cendres vives !
Quel enfant vieux je fais, me suis-je dit
embrassé par d'impudiques infirmières
pourchassé par des ambulances
dans le labyrinthe rouge 'in vitro' !
L'encre des 'selfies'
s'écoule dans mon dos gibbeux
sous les guillotines et pluies acides
tandis que je rêve de neiges et de livres
caressé par les sons des grues.
Tu es le dernier Kafka
le plus aimé des poètes, m'a-t-il dit
De moi explosent les anémones
regorgeant de nicotine crue.
J'ignore si je suis né, lui réponds-je
Je suis au-dessus de la ville et
à présent, comme une antenne
seulement pour moi, à la place du coq
chante le matin
la sirène de l'ambulance.
Ionut CALOTĂ
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