Un changement est une adaptation, une rupture est une mutation.
Quand j'ai quitté l'hôpital, cet interne m'a dit :
- Je suis navré que vous partiez. Je vous aurais bien gardé rien que pour mon intérêt personnel.
Pour ce garçon passionné par la technique médicale et dépourvu d'une qualité si importante dans la pratique de la médecine - l'intuition -, j'étais une souris blanche, un animal de laboratoire. Une souris blanche ne pense pas, ne fait pas part de ce qu'elle ressent.
La faille entre le passé et le futur qu'ouvre toute rupture est un formidable espace de réflexion, elle est un passage d'un état d'illusion à un état de lucidité. Cette transition est l'un des temps périlleux du processus de la rupture. On n'est plus dans le passé et pas encore dans l'avenir. C'est un étrange moment fait à la fois d'absence et de tension. On y découvre beaucoup de choses - parfois surprenantes - sur soi-même et autrui. La rupture a cela de bon qu'elle met fin, souvent sans précaution, à la confusion de la pensée, au flou de certaines situations, à sa propre indécision.
Les femmes et les hommes rompent-ils de la même façon?
Leur comportements respectifs indiquent que non.
Lorsqu'elles rompent, les femmes ont davantage recours à la parole. Elles expliquent, justifient, questionnent. Mais, surtout, à y regarder de près, ce sont elles qui rompent.
Une rupture est le signe avant-coureur d'une mutation, et, comme l'écrivait George Bernard Shaw, en connaissance de cause : "Si vous abandonnez quelque chose, c'est que vous êtes sur le point de trouver autre chose."
Ruptures, cassures, coupures, fractures, brisures, autant de termes qui signifient une séparation dont la caractéristique essentielle est d'être brutale. Au sens propre, ils disent la séparation d'un objet en un ou plusieurs morceaux; au sens figuré, ils signifient l'interruption d'une relation, un arrêt dans le cours des choses.
Rompre, c'est résister. Nous rompons pour mettre fin à une situation que nous ne supportons plus, la rupture est toujours un moyen de supprimer une entrave. C'est dire l'étroit rapport entre rupture et dépendance.
Pourquoi serait-ce trahir que quitter un homme ou une femme, une culture, un pays, si on le fait avec clarté, vérité et humanité et sans désir d'exploiter ce qu'on a appris d'eux pour leur nuire? Parce qu'à se détourner des modèles en vigueur, des comportements traditionnels, des lieux, des cultures, des amours, et parfois de son propre passé, on cesse de leur appartenir et, d'une certaine manière, on leur est infidèle.
Troisième âge, quatrième âge, ces personnes sont triées et classées en catégories qui ressemblent à des ghettos, et on a envers elles des comportements stéréotypés comme si toutes souffraient de solitude, de maladie et appelaient la compassion. Madeleine disait avec malice qu'à s'en tenir aux discours autorisés rien ne laisserait supposer, à un observateur non averti qui débarquerait dans notre monde, que les personnes âgées vivent parmi nous et circulent librement dans la société. Elles lui apparaîtraient comme des citoyens différents, existant dans des lieux à part et qu'il convient de traiter selon des rites particuliers.
Elle exerçait sa profession sans perspectives. Elle ne pensait plus en termes de projets, d'objectifs, de quelque chose à conquérir, mais se contentait de constats. Elle commença à s'ennuyer, et cet ennui la renvoya à son âge. Pour la première fois, elle en eut conscience alors que jusque-là elle n'y avait porté que peu d'attention.
Ce n'est pas exceptionnel, car la réflexion sur le temps entre largement en compte dans toute rupture. Etrangement, l'âge cristallise les raisons de rompre. Il est courant d'entendre dire : "A mon âge il fallait régler ce problème", ou : "C'était l'âge idéal pour prendre une décision." Cela signifie simplement qu'on est arrivé à un degré de maturité qui rend apte à la rupture, et non que trente-deux ans ou soixante-dix-sept ans soit justement l'âge magique pour effectuer une rupture.