Benoît Fourchard

Je m’étais aussi décidée à lui causer de mes soucis
avec Gérard, ses intrusions, sa brutalité, son chantage et sa mauvaise haleine. Voilà encore un truc qui doit changer ma Jo, et qui va changer, tu verras. Bientôt, nous les filles, on n’aura plus à être leur chose, ni à leur service, je te jure.
J’aimais ses lettres, sa manière simple de me raconter le mouvement du monde et de m’appeler comme ça, Jo.

Je me laisse gagner par la marche chaloupée du chameau et la flûte qui virevolte.

Alors, plus tard dans la nuit, dans le studio de la rue de Nabécor, les arias de Henry Purcell à fond la caisse, vêtues des chemises de nuit de sa grand-mère, écrues et amples, les voilà qui refont Café Müller, bousculant table et chaises, courant d’un bout à l’autre du studio, sautillant, puis mettant leurs pieds nus sur le mur, puis se relevant, puis se jetant au sol, puis sur le lit, enlevant les chemises de nuit, se les arrachant presque, quand enfin, dégoulinantes et épuisées, elles se retrouvent emboîtées, l’une dans l’autre. Un moment qu’elles n’avaient pas vu venir ni prémédité. Ni l’une ni l’autre. Un moment unique, dont elles ne reparleront jamais mais qui restera gravé. Indéfectible. Un moment comme la conclusion logique, enfiévrée et épidermique de ces dix jours de folie.

En ville, je n’y étais venue qu’à deux reprises. Et jamais toute seule. La première fois c’était pour me faire arracher une dent. Oh ! mais qu’elle est douillette celle-ci, avait aimablement fait remarquer le dentiste, pas comme son frère tiens. Que voulez-vous c’est une fille, avait répondu ma mère en soupirant.

Parfois je me demande si mes copains sont de vrais copains. Les vrais copains devraient s'intéresser à ce que vous faites, à vos envies ou vos préoccupations ; vous, en échange, vous les interrogeriez sur ce qu'ils aiment, ou sur leur projet. Les miens, jamais.