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Citation de enkidu_


Penser le capitalisme comme une espèce de gouvernement soumise, comme toutes les espèces, à l'implacable loi d'une évolution biologique, c'est méconnaître, cette fois, ce qui le distingue de tous les modes de production qui l'ont historiquement précédé; c'est oublier qu'il invente un type de société qui ose pour la première fois dénier sa propre mort, refuser la mort absolue et proclamer pour soi-même une manière d'éternité de l'âme. On n'a pas assez réfléchi à cet étrange paradoxe : il est à la fois la plus formidable machine de mort que l'Histoire ait produite, et il se refuse pourtant à penser, à représenter cette essence mortifère. On n'a pas assez remarqué qu'alors que l'âge féodal entretenait avec la mort une troublante et obscure familiarité, elle devient à l'âge moderne, plus que le sexe par exemple, le véritable tabou et l'interdit majeur de l'inconscient social. C'est que le capitalisme est le contemporain d'une révolution scientifique qui, inventant le temps linéaire et l'espace indéfini, a pu croire qu'elle figurait enfin l'image de l'éternité. C'est aussi qu'enfouissant ses propres origines dans un passé immémorial et oublié sitôt que passé, il ne peut que reculer d'autant l'âge de sa propre mort, nier qu'il n'y eût quelque fin à sa course éperdue. C'est enfin que, du coup, il est le premier mode de production à n'être jamais institué, à se penser constamment comme en train de s'instituer, à se fantasmer sur le mode d'un perpétuel inachèvement.
(...)
Un capitalisme sans contradictions serait une contradiction dans les termes. Un capitalisme sans tension serait, là, pour de bon, un capitalisme à l'agonie.

De sorte que la bourgeoisie est peut-être finalement plus marxiste que les marxistes. Elle ne croit pas à la loi de la marchandise, mais elle la vit et la met en œuvre chaque fois que dans le vivant elle introduit la mort, chaque fois qu'elle s'acharne à briser les œuvres qu'elle façonne. Elle ne croit pas à la dialectique, mais elle l'entend mieux que quiconque, elle qui double le moindre de ses flux d'une contradiction intime qui, simultanément, le met en crise. Elle est plus optimiste surtout que les optimistes patentés, elle pousse à son terme la pensée du « tout va bien » : dans le plus grand désordre elle sait prophétiser la figure d'un ordre à venir; dans l'extrême de l'errance, elle repère les premiers signes d'une sourde finalité. Il ne faut plus dire que ses contradictions l'entament mais qu'elle s'en nourrit et s'y baigne, pour mieux s'y ressourcer. Il ne faut plus dire qu'elles sont de l'ordre de la maladie, mais y voir, tel un séisme, l'affleurement muet d'un sourd glissement de terrain. Peut-être faut-il cesser de parler d'une alternance d'équilibres ou de déséquilibres, mais plutôt, comme dans l'archaïque système des dons et des contre-dons, d'une régulation harmonique de l'échange social. Une explosion politique ce n'est rien d'autre que le mode dramatique de la reproduction élargie du Capital. Une crise sociale, rien d'autre qu'une homéostase des flux d'une société. (III, 3)
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