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Citation de Charybde2


Il logeait au cœur du quartier juif, en plein Podol, dans une maison surpeuplée, aux fenêtres encombrées de matelas mis à l’air et de guenilles en train de sécher, au-dessus d’une cour bordée de baraques en bois, petits ateliers où chacun s’activait sans pour autant gagner grand-chose, de quoi subsister tout au plus. Le réparateur voulait plus que ce qu’il avait eu jusqu’alors : cent fois rien. Pour un temps, jusqu’à ce que cessent les pluies froides de l’automne à son déclin, il se cantonna dans le quartier juif. Mais dès la première chute de neige sur la ville – un mois environ après son arrivée -, il reprit ses sorties, en quête de travail. Son sac d’outils sur l’épaule, il explora toutes les rues de Podol et de Plossky, quartiers commerçants de la ville basse qui s’étendaient jusqu’au fleuve, puis gravit les collines pour se risquer dans les districts où les Juifs n’avaient pas le droit de travailler. Yakov continuait à se dire qu’il cherchait des occasions bien que, ce faisant, il eût parfois l’impression d’être un espion derrière les lignes ennemies. Le quartier juif, identique depuis des siècles, grouillait et puait. Ses biens temporels se résumaient en biens spirituels ; tout ce qui manquait, c’était la prospérité. Et le réparateur qui avait quitté le shtetl s’irritait de cette pénurie. Il avait essayé de travailler pour un fabricant de brosses, homme à la barbe hirsute qui lui avait promis de lui enseigner le métier. Une assiette de soupe lui tenait lieu de salaire. Il avait donc préféré en revenir à son état de réparateur, ce qui ne lui rapportait rien non plus, sinon parfois un peu de soupe. Pour une vitre cassée, on se contentait d’obstruer l’ouverture avec de vieux chiffons et de dire une bénédiction. Yakov offrait de la remplacer moyennant pitance et, le travail accompli, recevait des remerciements, des bénédictions et une assiette de soupe aux nouilles. Il menait une vie frugale dans un réduit bas de plafond, chez Aaron Latke, employé d’imprimerie, et dormait sur une banquette recouverte d’un sac de jute. L’appartement regorgeait d’enfants et de matelas de plume malodorants. À mesure que le réparateur se séparait de ses kopeks sans en gagner un seul, son anxiété augmentait. Il était à présent convaincu qu’il lui fallait soit s’installer dans un endroit où il pût gagner sa vie, soit changer de métier, sinon peut-être les deux. Peut-être aurait-il plus de chance chez les goyim. En tout cas ça ne pourrait guère être pire. Et d’ailleurs, quel choix un homme a-t-il quand il ignore la nature de ses choix ? Il voulait connaître le monde. Aussi quitta-t-il le ghetto à l’insu de tous.
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