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Citation de MegGomar


21 mars 2017. Je suis devant la Cour de cassation. Je plaide une affaire
très médiatisée, qui soulève des questions à la fois d’éthique et de
société. Je défends Gaëtan , un sexagénaire qui est né intersexué – on
disait auparavant « hermaphrodite ». Ses parents voulaient un garçon, à
l’état civil ils l’ont déclaré comme tel. Un peu par hasard. Mais cet état
civil ne correspond pas à son état réel. Gaëtan en a donc demandé la
rectification, pour qu’à la mention « sexe masculin » soit substituée celle
de « sexe neutre ». Ce n’est pas une affaire comme une autre, elle touche
au plus profond de l’identité. L’enjeu est de taille.
Gaëtan n’est ni homme ni femme, ne se sent ni homme ni femme, ne
peut devenir ni homme ni femme, ne veut devenir ni homme ni femme.
Gaëtan revendique une identité intersexuée qu’il souhaite voir reconnue à
l’état civil. Le 20 août 2015, le tribunal de grande instance de Tours lui a
donné raison, mais la décision a été infirmée par la cour d’appel
d’Orléans en mars 2016. On nous oppose que Gaëtan a l’apparence
physique d’un homme, ce qui est faux, puisque Gaëtan n’a pas d’organes
sexuels reproducteurs et que seul un traitement contre l’ostéoporose lui a
conféré une apparence masculine artificielle. On nous dit aussi que
Gaëtan s’est marié avec une femme et a adopté un enfant. Certes, mais
Gaëtan n’a pas cessé d’être intersexe pour autant ! De plus, le mariage et
l’adoption n’ont depuis la loi de mai 2013 sur le mariage pour tous plus
rien à voir avec la différence des sexes. On nous dit que la
reconnaissance du sexe neutre pourrait créer des troubles chez les
personnes concernées. Mais qui mieux que Gaëtan sait ce dont il a
besoin ? Ce raisonnement revient à ériger des peurs pour s’abriter
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derrière. Et finalement, on nous explique que la question est trop
complexe pour être tranchée par le juge, et que seul le législateur peut la
résoudre. Curieuse conception par le juge de son rôle, qui serait donc
cantonné aux questions simples, et qui pour le reste renverrait le
« mistigri » au Parlement, laissant ainsi des centaines de personnes vivre
avec un état civil purement artificiel.
Je prends la parole. Je plaide une vingtaine de minutes. La nature n’est
pas binaire, pourquoi le droit le serait-il ? Toute ma plaidoirie est
construite sur cette question. Avant de venir à l’audience, j’avais en tête
le début et la fin de ma plaidoirie. J’ai la parole en début d’audience. Je
décide de raconter tout simplement l’histoire de mon client.
Le Parquet général de la Cour de cassation soutient que la binarité est
justifiée « au regard de la finalité majeure d’ordre public de cohérence et
sécurité de l’état-civil garantissant une identification fiable des
personnes ». La loi ne définit pas de troisième sexe. « Il n’appartient pas
au juge, poursuit-il de créer de nouvelles catégories juridiques de
personnes. » À l’audience, l’avocat général souligne que la binarité
homme/femme est déterminante, que le législateur doit établir des
catégories comme homme/femme, majeur/mineur ou jour/nuit… Mais
précisément, le jour et la nuit sont un peu comme l’homme et la femme :
la classification n’épuise pas la réalité dans la binarité puisque entre le
jour et la nuit il y a le crépuscule.
Je modifie donc la fin que j’avais initialement prévue de prononcer.
M’adressant aux juges, je les exhorte une dernière fois : « Ce que je sais
c’est qu’entre le jour et la nuit il y a le crépuscule, et que l’aube vous
appartient. »
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