Brandon Witt

— Je t’aime, Wesley, répéta son amant en serrant leurs doigts entrelacés. C’est ce qui rend les choses encore plus difficiles. Je pense que je saurais quoi faire si je ne t’aimais pas, je pourrais y mettre fin, me dire que ce n’était que de bonnes parties de jambes en l’air. Mais je t’aime vraiment.

Le vétérinaire voulait savoir pourquoi. Il voulait ce discours romantique où ils feraient tous deux la liste de ce qu’ils aimaient chez l’autre et il voulait qu’ils s’avouent à quel moment ils s’en étaient rendu compte pour la première fois. Il voulait avoir la tête qui tourne, il voulait de la tendresse, il voulait du sexe passionné et animal, il voulait… autre chose que cette tension qui avait semblé déclencher cette déclaration d’amour.

C’est ce qu’il avait souhaité. Exactement ce qu’il avait souhaité. C’était précisément ce qui avait amené sa mère à fuir la ville. Il était un étranger ici, il ne pouvait en douter, et même s’il restait là pour une dizaine d’années, il serait probablement toujours considéré comme tel. Malgré tout, il pouvait ressentir ce confort qu’il n’avait jamais ressenti en ville, qu’il n’avait ressenti qu’avec ses grands-parents. Pour le meilleur comme pour le pire, tout le monde se connaissait dans cette petite ville. Même si certains ne s’appréciaient pas, ils étaient sympathiques. On pouvait les entendre se saluer dans la rue, discuter des costumes des enfants, demander comment allaient les parents et les membres de la famille malades. Ils se demandaient s’ils allaient se voir à la messe du mercredi, riaient d’une blague qu’ils avaient entendue des centaines de fois, se racontaient des histoires qui avaient fait scandale plusieurs décennies auparavant. C’était leur ville et pour beaucoup d’entre eux, tel était le cas depuis des générations.

Ils se tenaient à moins d’un mètre l’un de l’autre, la grange moderne brillant autour d’eux et la maison que Shannon avait refaite rayonnant derrière ses énormes portes coulissantes.

Les poules étaient rentrées pour la nuit. Les vaches rousses du Limousin dormaient dans leur champ bordé d’arbres.

La brise de cette soirée de novembre caressait les feuilles d’automne.

Une tombe, dont le nom avait été lissé, reposait à l’autre bout de la ville.

Les chuchotements s’éloignèrent. Deux autres larmes coulèrent.

Les étoiles restèrent à leur place. La grange resta ancrée dans le sol.

Il était temps de faire honneur à une promesse vieille de quatre ans.

— Tu as fait rire Caleb.
Wesley ne répondit pas, trop surpris par le changement de sujet.
— Bien sûr, continua Travis, il rit parfois avec Wendy. Avec les enfants. Parfois avec moi. Mais on dirait un homme lorsqu’il rit. Un homme qui doit s’occuper de sa famille. Qui a perdu son innocence il y a bien longtemps.
Travis ne pouvait nier la larme qui coulait sur sa joue. C’était vraiment la sienne.
— Il a ri comme un enfant ce soir, poursuivit-il. J’aime l’entendre rire. J’ai entendu l’espoir, j’ai entendu qu’il y avait plus pour lui que les jumeaux et cette ville. Plus que les opossums et le poulailler. Plus que ce père de merde.
Travis attrapa les bras de Wesley et serra ses épaules si fort qu’il dut sûrement lui faire mal.
Ce dernier ne bougea pas et ne sursauta pas. Il se contenta de regarder Travis dans les yeux.
Le roux le maintenait immobile. Il ne regarda pas le visage de Wesley, il ne regarda pas le corps de cet homme, il ne demanda pas la permission et Wesley ne lui demanda pas la sienne.
Il le tira vers lui, caressant son épaule d’une main pour s’aventurer vers sa nuque et ramener son visage plus près du sien.
Travis le sentit sursauter lorsque leurs lèvres se rencontrèrent mais seulement l’espace d’un instant avant qu’il ne se laisse aller.

Caleb continua de son habituel ton doux mais avec plus d’assurance, semblant plus adulte.
— Je suis sûr que je me ferai taquiner mais rien de bien méchant, j’ai des amis super. Il y a quelques élèves qui sont gays au lycée, peut-être que ça les aidera.
Voilà Shannon, qui brillait à travers son fils. En plus de la voir dans sa carrure, Travis pouvait entendre la volonté de combattre et la compassion dans la voix de leur fils.
— Ce n’était probablement pas comme ça à l’époque où tu étais à l’école, papa, mais la plupart des jeunes s’en fichent. Darwin, qui a obtenu son diplôme, il y a deux ans… Tu te souviens de lui ?
Travis hocha la tête mais n’avait pas la moindre idée de qui il était.
— Il était gay et c’était un des élèves les plus populaires. Il passe au club des jeunes de temps en temps.
Il y avait un gosse gay au club jeunesse de l’église ? Si Travis n’avait pas su que ce n’était pas son genre, il aurait cru que Caleb lui mentait.

— Tu m’as dit que ça ne te dérangeait pas, que, parce que ce n’était pas une fille, ce n’était pas tromper.
— Alors c’est de ma faute ?
Travis passa une main dans ses cheveux, puis la posa sur sa joue afin qu’elle lève les yeux vers lui.
— Non, ce n’est pas ce que je dis, Shannon. Je pensais juste que ça ne te posait pas de problème. Tu avais eu l’air de comprendre lorsqu’on en avait parlé l’année dernière. J’ai toujours fait attention, toujours. Je n’ai jamais pris le risque.
Shannon émit un grognement dégoûté mais ne s’éloigna pas.
— Je me déteste, Travis. Je te jure. C’est ça qui devrait m’inquiéter, je le sais. Mais ce n’est pas le cas. T’avoir vu sur lui, te voir lui faire ce que tu me fais… je ne sais pas, je ne pensais pas que ça serait comme ça. Tu es censé être à moi.
— Mais c’est le cas, Shannon. Je suis à toi, entièrement.

Même s’il était plus méchant avec Caleb qu’avec les autres, Dustin était horrible avec tout le monde. Même avec les profs. Le roux ne prenait pas ça personnellement. Lorsqu’il avait commencé à faire des blagues sur sa mère mourante, il s’était mordu la langue et n’avait rien dit. Une fois arrivé en sixième, il avait même arrêté de pleurer dans les toilettes.
Il y avait bien pire dans ce monde que Dustin Jackson et les personnes comme lui.
Et alors ? Qu’on se moque de ses cheveux, qu’on l’appelle pédé ou retardé, qu’on le pousse dans un mur de temps à autre, quelle importance ?
Autant laisser faire cet imbécile, le laisser déverser son flot d’injures. Autant le laisser faire et il passerait au prochain idiot qui ne savait pas la fermer.

— Ce n’est pas parce que j’ai utilisé le mot pédé que je suis homophobe, répondit Travis en haussant les épaules. Je suis juste un connard de temps en temps.
Le rire de Wesley ressembla un peu plus à celui qu’il avait entendu lorsqu’il avait interrompu la discussion avec son fils.
— OK, je note. Mais ce n’est pas par rapport à ça. Parfois c’est une chose de savoir qu’une personne est gay mais tout change lorsqu’on en entend davantage.