Une tradition vivace, mais aveugle, tend à faire de Géricault le chantre de l'épopée impériale, poète de l'uniforme, héraut de la guerre. On croit rêver. Cette imposture n'a rien d'innocent : il s' agit de couvrir sous la diane des casernes la vraie tonalité de ces images militaires qui est plutôt celle du requiem. Il y a pour simplifier beaucoup, trois types de soldats dans l'oeuvre de Géricault : les cavaliers philosophes de ses débuts, qui n'ont de guerrier que l'apparât et dont l'activité s' avère exclusivement cogitative ; les artilleurs belliqueux du retour d'Italie, vrais prolétaires des armées, dont la nature n'est pas héroïque mais agonistique : c'est leur violence qui fascine l'artiste ; et les éclopés sinistres de convois funestes, qui prodiguent à l'envi les fastes douteux de leurs panoplies infirmières, pansements, bandages, béquilles, et ne sont jamais que les héros mutilés d'hôpitaux ambulants. (P.172)