Ma mère était née immédiatemment après mes oncles jumeaux de Tindican. Or on dit des jumeaux qu'ils naissent plus subtils que les autres enfants et quasiment sorciers; et quant à l'enfant qui les suit et qui reçoit le nom de « sayon », c'est-à-dire de « puinè des jumeaux », il est, lui aussi, doué du don de sorcellerie; et même on le tient pour plus redoutable encore, pour plus mystérieux encore que les jumeaux, auprès desquels il joue un rôle fort important : ainsi s'il arrive aux jumeaux de ne pas s'accorder, c'est a son autorité qu'on recourra pour les départager; au vrai, on lui attribue une sagesse suppérieure à celle des jumeaux, un rang supérieur; et il en va de soi que ses interventions sont toujours, sont forcément délicates.
C'est notre coutume que les jumeaux doivent s'accorder sur tout et qu'ils ont droit à une égalité plus stricte que les autres enfants : on ne donne rien à l'un qu'il ne faille obligatoirement et aussitôt donner à l'autre. C'est une obligation qu'il est préférable de ne pas prendre à la lègère : y contrevient-on, les jumeaux ressentent également l'injure, réglent la chose entre eux et, le cas échéant, jettent un sort sur qui leur a manqué. S'élève-t-il entre eux quelque contestation - l'un, par exemple, a-t-il formé projet que l'autre juge insencé - ils en appellent à leur puiné et se range docilement à sa décision.
784 - [Press Pocket n° 1249, p. 75]