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Citation de lolitajamesdawson


Dans son dossier médical, il est indiqué : "elle décède en présence de ses proches", mais aucun de ses enfants n'était là. Ma mère, toute petite dans son lit d'hôpital, est morte sans moi. Et je dois vivre avec.

J'écris "ma mère est morte", mais, à ce moment précis, je ne ressens pas son absence. Bien sûr, j'ai la gorge nouée, les larmes affleurent, mais l'arrachement est irréel.

À l'enterrement de ma mère, le souvenir des fleurs partout et de ces gens que j'ai longtemps aimés. À l'enterrement de ma mère, le souvenir des ces gens au loin, qui ne se sont pas approchés. Ceux de l'enfance, du Sud, de la famille recomposée. La familia grande.

Elle disait que l'important c'était de se parler, que tout s'expliquait, que la télévision était une fenêtre sur le monde, la liberté la valeur suprême. J'avais le droit de tout faire tant que j'étais responsable. Et je serais responsable si je tentais de comprendre. Comprendre tout, tous et tout le temps.

Petite, ma mère me désignait le Mal et, avec bonheur, je le combattais. La main dans celle de ma mère, je courais.

Depuis, j'ai peur. Qu'un événement survienne, qu'il arrive quelque chose aux gens que j'aime. J'anticipe, j'analyse, je préviens. J'ai peur. Un pressentiment irrémédiable. Et ma raison n'y fait rien. Des peurs irrationnelles. Le coeur qui bat au moindre bruit. À l'insupportable sonnerie du téléphone, tout le temps. La peur de la voiture. La peur de l'avion. L'impossibilité de respirer, vingt fois dans la journée. Plus tard, la peur pour mes enfants. La peur de tout, tout le temps.

Dans le regard de ma mère, pour moi, plus rien, plus jamais. Le jour où ma grand-mère s'est suicidé, c'est moi que ma mère a voulu tuer. L'existence de ses enfants lui interdisait de disparaître. Nous étions le rappel de sa vie obligée. J'étais sa contrainte, son impossibilité. Le jour où j'ai perdu ma grand-mère, j'ai perdu ma mère. À jamais.

À la maison, ma mère buvait le soir, mon beau-père la servait, et la servait encore. Ça l'aidait à dormir, ça l'aidait à s'en sortir. Il ne fallait surtout pas lui en parler. Lèvres noires. Dents noires. Haleine épaisse. Visage effacé. Et souvent une telle méchanceté. Des mots vulgaires, des mots perçants, des mots terrassants. Jusqu'à l'oubli, heureusement. L'oubli de tout, l'oubli de nous. Le soir, ma mère me parlait, et le lendemain elle ne se souvenait plus de rien.

Leur départ est pour eux une chance. Un soulagement, même. Je ne leur en veux pas. Mais je suis seule et je comprends, pour la première fois, que je le resterai.

Mes amis vont mal, et c'est en cela que je leur trouve un intérêt. De manière générale, je n'arrive à entretenir que faiblement les amitiés ; je suis très présente et puis je disparais, Charlotte me le reproche. D'autres après elle. Je le sais.

Les garçons que je choisis sont des étoiles filantes. C'est ma condition, aucun n'est autorisé à s'arrêter. Aucun n'est autorisé à creuser. Leur indifférence est, pour moi, la seule marque de respect.

Rien ne m'amarre. Je suis loin de moi, d'eux, comme droguée. Je ne m'attache à rien. Je suis dans mes pensées en permanence mais ma tête est vide. Avec le départ de mes frères, j'ai quitté la réalité. Je poursuis toujours le même rêve : me faire pardonner.

Le soir, ivre, ma mère m'appelait. Sa mère morte... Elle m'insultait. Et puis elle oubliait.

Toi qui as agressé mon frère pendant des mois, tu le vois, le problème ? Quasiment devant moi, en t'en foutant complètement, faisant de moi la complice de tes dérangements. Tu les vois, les angoisses qui nous hantent depuis ? Mais toi aussi t'es prof de droit. T'es avocat. Tu sais bien que, pour cause de prescription, tu t'en sortiras. Tout va bien pour toi. Vingt ans. Sinon c'était vingt ans.

Je n'ai pas protégé mon frère, mais moi aussi j'ai été agressée. Je ne l'ai compris qu'il y a peu : notre beau-père a aussi fait de moi sa victime. Mon beau-père a fait de moi sa prisonnière. Je suis aussi l'une de ses victimes. Victime de la perversité. Pervertie, mais pas perverse, maman.
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