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Citation de SeriallectriceSV


INCIPIT
« « C'est une fille. »
Ça commence avec un mot, comme la lumière ou comme le noir. Ta naissance ressemble à la création du monde, et il y a le ciel et il y a la terre, une parole coupe en deux l'espace, fend la foule, sépare le temps. Ce n'est pas Dieu qui la prononce, toutefois, autant que tu le saches tout de suite, c'est Catherine Bernard, sage-femme à la clinique Sainte-Agathe où l'horloge murale indique cinq heures et quart. Cette annonce, elle ne l'a pas préparée, elle n'a rien désiré ni désiré, ayant d'autant moins d'opinion sur la question qu'elle est bonne soeur, mais le résultat est le même : elle le dit, elle te nomme en te mettant au monde, sous sa coiffe immaculée l'épouse vierge de Dieu prononce son arrêt, elle te fait naître en te nommant. Tu nais d'un mot comme d'une rose, tu éclos sous la langue. Tu n'es rien encore, à peine un sujet, tu peines à venir à l'existence ; tu ne peux pas encore dire « je suis », personne ne dit « elle est », même au passé, « et la fille fut », même avec un article indéfini, « et une fille fut » ça ne se dit pas. Tu n'es pas indéfinie, du reste, oh non, tu n'es pas née indéfinie, il y a déjà un e, tu vois, un e muet, c'est vrai, mais un e muet loquace. Tu es un article bien défini, au contraire. Les faits parlent pour toi. Née fille. C'est ainsi, c'est dit, ça résonne dans l'air - pièce blanche, bouteille d'eau, lit étroit, crucifix. Ta naissance est une énigme banale. Tu nais presque rien, à la va-comme-je-te-pousse. Un schisme se joue, mais où ? Il y a un soir et il y a un matin. L'un succède à l'autre, l'un se change en l'autre. Toi non. Tu n'es pas modifiable. C'est ainsi. Il n'est plus temps que les fées se penchent sur ton berceau. La messe est dite. Tu entres tête baissée dans le décor et ta vie délivrée se déplie à l'air libre, enfin, libre, façon de parler puisque jour ou nuit, soir ou matin, ce ne sera plus jamais autre chose que ce que c'est. Tu cries, tu t'égosilles, la vérité est froide qui emplit tes poumons, la rime est féminine, ça crie et crée en toi le sentiment râpeux de la séparation, tu sens que ça se divise, c'est tout, ça fait deux, ça coupe, c'est coupé. Ta naissance te sépare à la fois de ta mère, qui est une fille aussi, ça se sait, et de toute l’humanité qui ne porte pas le nom de fille. Le mot adverse n’est pas prononcé, et pour cause, mais il flotte silencieusement dans l’éther de la chambre, le mot contraire met dans l’air un effet de pochoir, un embryon, un fœtus, un bébé, jusque-là le genre était de ton côté. Il y a quelques secondes, elle ou il, tout restait possible, la grammaire rêvassait toujours son paysage,à présent on t’a coupé les ailes(quoi d’autre?) tu es plus seule que Robinson et pourtant c’est fait, le sort en est jeté avec la placenta, Dieu, né garçon, dit-on, père d’un fils, croit-on, Dieu est un enfant qui joue aux dés : c’est une fille. »
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