07/04/2016
Les réseaux sociaux, et particulièrement Facebook, sont un extraordinaire outil romanesque non seulement pour l’écrivain que je suis mais pour chacun d’entre nous. C’est le lieu où l’on peut s’inventer une autre vie, se créer une identité nouvelle, comme si l’on était un personnage de fiction. Cela démultiplie notre imaginaire, nos fantasmes, mais aussi nos possibilités de mentir et de trahir, ce qui modifie notamment nos comportements amoureux. Et puis le virtuel tend à nous faire lâcher la proie pour l’ombre. J’ai trouvé intéressant de rendre compte dans un roman de nos usages les plus contemporains, même si ce n’est pas Facebook qui a inventé le mensonge !
Je ne poserais pas la question de cette façon, car la formulation suppose que le féminisme serait forcément dirigé contre les hommes. Or, il ne s’agit pas pour moi d’opposer les deux sexes, il n’y a pas d’un côté les méchants et de l’autre les gentilles. D’ailleurs, Claire est elle-même infidèle, manipulatrice, voire perverse. Si elle est si remontée envers les hommes, c’est qu’elle a été ravagée par une histoire violente avec l’un d’eux, jusqu’au délire, et qu’elle étend sa douleur personnelle au monde entier : c’est là son enfermement et sa folie.
Je suis féministe mais je ne suis pas un écrivain féministe, au sens où le propos principal de mon roman n’est pas militant ni sociologique. Simplement, j’écris à partir de moi, de mon expérience, à partir de ce que j’observe et de ce que j’éprouve du féminin. Que le désir féminin soit largement tabou par rapport au désir masculin, que le patriarcat le plus éhonté ait encore largement cours, voilà ce que je constate et ce que je dénonce par le biais d’une fiction qui a aussi d’autres horizons.
Dans la première partie, je souhaitais qu’on entende seulement la voix de Claire, le flot de ses paroles qui témoigne de son énergie vitale, de son rythme propre. Je ne voulais pas que ce flux soit interrompu par les questions du psychiatre, qu’on devine d’ailleurs facilement aux réponses qu’elle donne. Elle est sur une sorte de scène tragique, comme dans une longue tirade théâtrale.
Les deux autres parties font entendre chacune une autre voix après celle de Claire : celle de Marc, son psy, et celle de Camille, l’écrivaine qui anime l’atelier d’écriture à l’hôpital psychiatrique. Je cite souvent cette phrase de Mallarmé : « Toute âme est un nœud rythmique ». Dans ce roman, je voulais que chaque personnage révèle son nœud rythmique, donc son âme. Le personnage s’est construit à travers le souffle et le rythme de son monologue oral (l’entretien, l’audition) ou écrit (la lettre).
Le point commun à chacun, c’est qu’il s’adresse à quelqu’un, il sait qu’on l’écoute, qu’on l’entend, il a un destinataire – silencieux mais présent. Je crois qu’au-delà de la fiction, je voulais, d’une certaine manière, faire entrer le lecteur dans l’histoire.
Je m’intéresse depuis longtemps à la psychanalyse et aux maladies de la psyché, aux névroses, aux psychoses. Parallèlement à l’écriture de chacun de mes romans, en tout cas depuis Dans ces bras-là (2000), je lis des textes psychanalytiques – de Sigmund Freud et Jacques Lacan, mais aussi d’auteurs vivants. Ce qui m’intéresse particulièrement, sans doute parce que j’en observe les effets en moi-même, c’est la question du clivage. Le moi n’est pas fixe, nous n’avons pas une identité simple et monolithique, nous sommes faits de tensions entre nos différents avatars intimes. « Je sommes », devrions-nous dire.
Au XIXème siècle, Honoré de Balzac écrivait La Femme de trente ans. A cette époque, comme il le soulignait lui-même, la vie d’une femme se terminait à 30 ans alors que celle d’un homme commençait. Aujourd’hui, la frontière s’est déplacée, disons que nous avons gagné vingt ans. Ce n’est pas moi qui ai choisi 50 ans comme âge limite, ce sont les statistiques ! Elles montrent que sur les sites de rencontres comme d’ailleurs dans le milieu du cinéma, 50 ans est l’âge butoir pour les femmes : au-delà de cette limite, leur ticket n’est plus valable ! Regardez le nombre d’acteurs de plus de 50 et même 60 ans qui jouent encore de grands rôles d’amoureux à l’écran, avec des partenaires féminines beaucoup plus jeunes qu’eux. Est-ce la même chose pour les actrices ? Evidemment non. Cette dissymétrie existe aussi dans la société, c’est une injustice ancrée dans nos façons de penser, mais pourquoi ?
La seule explication que j’y voie, c’est que 50 ans est aussi l’âge moyen de la ménopause. Inconsciemment ou non, beaucoup d’hommes (et aussi pas mal de femmes qui intériorisent la norme) associent fin de la capacité de reproduction et fin de la séduction, du désir. « Ménopausée », c’est souvent une injure dans la bouche des hommes, et une honte dans celle des femmes. Il y a heureusement des exceptions, mais ce n’est pas en niant le constat qu’on changera les mentalités.
Que l’acte de création ait à voir avec l’Eros n’a rien d’étonnant. Selon Freud, la pratique artistique est une dérivation de la libido, une sublimation de l’instinct sexuel. C’est vrai pour les hommes comme pour les femmes. Claire, mon héroïne, n’aime pas trop la notion de sublimation, qui établit une hiérarchie et laisse entendre qu’on abandonne l’érotisme au profit de la création. Dans l’idéal, pour elle, l’un ne va pas sans l’autre. Le rapport amoureux est son moteur, ce qui lui donne l’énergie vitale pour écrire. De mon côté, je suis déchirée entre l’affirmation de Marcel Proust, « la vraie vie, c’est la littérature » et le refus de séparer l’écriture de la vie vécue, charnelle, sensuelle.
Non, ce sont tous des personnages fictionnels ! Il y a certes un écrivain qui s’appelle Camille, mais pourquoi serait-ce moi ? D’ailleurs à la fin, quelqu’un mentionne son nom : « Camille Morand, quelque chose comme ça ». Je vous accorde que le doute subsiste, et que Morand est l’anagramme phonétique de « roman ». Mais si je joue toujours beaucoup sur le rapport entre réalité et fiction, c’est parce que la question se pose pour moi dans la vie, et pas seulement dans la littérature : qu’est-ce qui est vrai ? Qu’est-ce qui est fantasmé ? Qu’est-ce que la vérité d’un être ? Une histoire aussi peut avoir plusieurs versions, qui varient selon les narrateurs, comme dans le film de Kurosawa, Rashomon. Depuis mon 1er roman, Index, j’interroge cette frontière floue entre le réel et la fiction, le vécu et le raconté. Du reste, tout écrit devient fiction ; dès que je me raconte par les mots, je m’invente. Et puis j’en avais assez que certains m’identifient à l’autofiction dans ce que le mot a de plus réducteur - une écriture du moi étriquée -, alors que c’est bien autre chose. Celle que vous croyez est aussi une façon de répondre à ce genre de critique. Je ne sais pas qui est « moi » sinon un miroir à facettes, je ne suis pas figée dans une identité, la question de la vérité me hante, mais une chose est sûre : je ne suis pas celle que vous croyez ! Et vous n’êtes pas non plus celui que vous croyez, vous, lecteur. Comme le disait Lacan, le moi ne peut s’appréhender que « sur une ligne de fiction ». J’aime faire miroiter cette énigme humaine jusqu’au vertige.
Les faux-monnayeurs, d’André Gide. Ou L`amour fou d’André Breton.
Les poèmes de Victor Hugo, à l’école primaire. Et Jean Racine, au collège.
Bérénice, de Jean Racine. Et aussi Les Fleurs du Mal. Et A la lumière d`hiver. Leçons. Chants d`en bas. Pensées sous ..., de Philippe Jaccottet. Et Quelque chose noir, de Jacques Roubaud. Et Mrs Dalloway, de Virginia Woolf.
L`Homme sans qualités, tome 1, de Robert Musil. Je ne l’ai jamais fini.
Agatha, de Marguerite Duras.
Je n’ai pas beaucoup de goût pour les romans de Emile Zola, sauf exception.
« Ne sacrifie pas aux idoles » (André Gide). Mais aussi « Le contraire est toujours vrai », un aphorisme absurde de Georg Christoph Lichtenberg
Je viens de lire deux très beaux livres : Mémoire de fille, d’Annie Ernaux, et Une fatalité de bonheur, de Philippe Forest
Librairie généraliste crée en 2018. Avec Charline Corbel, directrice. Coup de coeur : "Fille" de Camille Laurens édité chez Gallimard. 17 cours Saint-Louis à Bordeaux https://asso.librairies-nouvelleaquitaine.com/librairies/librairie-des-chartrons/ Inédite édition de l'Escale du livre, du 24 au 28 mars 2021 et durant tout le printemps https://escaledulivre.com/ Suivez nous Youtube : Escale du livre - Bordeaux https://www.youtube.com/channel/UCPVtJFeOHTTNtgQZOB6so1w Facebook : escale.dulivre https://www.facebook.com/escale.dulivre Instagram : escaledulivre https://www.instagram.com/escaledulivre/?hl=fr Twitter : escaledulivre https://twitter.com/escaledulivre © musique : Hectory - Réalisation et sound design : Grenouilles Productions - création graphique : Louise Dehaye / Escale du livre 2021 - Inédite édition
Quel est la 1er brosse utilisé pour le pansage ?