Dans l’obscurité, les sons prenaient une ampleur... ces oiseaux devenaient des êtres... comment dire... presque surnaturels.
On lui enseignerait alors que les filles d’Ève sont les pommes empoisonnées par qui tous les malheurs du monde sont arrivés, leçon qu’elle délogerait plus tard de ses croyances à grand renfort de colère. Voilà donc les apprentissages qui ont façonné la femme qu’elle allait devenir.
Je me suis statufiée devant cette chose qui venait de m’apparaître, que je voyais pour la première fois de ma vie, le sexe dressé d’un homme. Toutes les fibres de mon être se sont contractées sous les mains de Fernand qui couraient maintenant sur ma peau, saisissaient mes seins, les trituraient, plaquaient mon corps contre le sien et s’emparaient de mes fesses, les malaxaient.
Mon Dieu ! Les mêmes gestes ! La même haleine vineuse ! J’étais de nouveau dans la rue, plaquée contre ce mur, paralysée de frayeur, accablée par l’agression de ce soldat ivre. Et personne pour me secourir.
J’aurais voulu l’arrêter, tamiser la lumière, faire une pause, le temps de respirer, de me ressaisir. De me faire à l’idée, d’apprivoiser cet inconnu. Mais aucun son n’est sorti de ma gorge pendant que Fernand, le souffle saccadé, les gestes nerveux, était pressé de prendre son dû. Il m’a couchée sur le lit, a écarté fermement mes cuisses résistantes. Puis la déchirure. Je n’ai pu retenir un cri, qui n’a pas ralenti la cadence de ses coups de boutoir. Soudain, il a émis un sourd râlement, est tombé sur moi comme une masse et s’est enfin roulé sur le côté pour s’endormir sur le coup.
Elle veut être libre ! Ne dépendre de rien ni de personne, et surtout pas de l’argent. Elle ne sait pas encore exactement ce qu’elle rêve de devenir, mais sait parfaitement ce qui la tuerait. Obéir à un mari, faire des ronds de jambe à un patron, entrer dans le cadre, se mouler sur des règles édictées par ceux qui tirent les ficelles et s’en mettent plein les poches !
À quoi bon dire au revoir à ses fantômes, leur interdire de la suivre, puisqu’elle sait qu’ils n’obéiront pas
Bien sûr, un coup de foudre, ça ne pouvait pas durer toujours. On en mourrait de fatigue. Petit à petit, leur relation s’était normalisée, si on peut dire. Mais ils avaient continué à se sentir bien ensemble, elle, tout au moins…
Avec les hommes, c’était vite les reproches : je travaillais trop, je n’étais pas suffisamment disponible, je ne pouvais pas prendre de longues vacances. Je me lassais et je les remerciais. J’en avais conclu qu’il valait mieux rester seule, quitte à me payer des aventures au besoin. Au début de la trentaine, j’ai paniqué. J’ai eu peur de passer à côté de la maternité, de me retrouver vieille et solitaire. J’ai voulu avoir un enfant et j’ai fait pour. Étant donné l’estime que j’avais pour les hommes, j’étais pas très consciente de priver ma fille de quelque chose d’essentiel dans la vie
S’il y a une chose que je comprends maintenant, c’est qu’on est irrémédiablement seul quand nos rêves s’écroulent. Seul. Seul avec sa douleur.
Elle fixa la porte que son mari venait de claquer pour la deuxième
fois dans la même journée, comme si elle avait pu la faire éclater sous la
force de sa colère. Le bruit de son cœur, qui battait comme une grosse
caisse, emplissait ses oreilles dans la cuisine silencieuse. Elle se vit bondir, alerte comme une boxeuse, le rattraper et lui donner une raclée comme il n’en avait jamais reçu, à grands coups de poing dans la face.
Elle se délecta un instant de la scène, puis, aussi fatiguée que si elle s’était bagarrée pour vrai, se souleva avec difficulté pour vider les lieux à son tour. Déboussolée, elle se tint un moment immobile, son attention captive d’une douleur sourde, dans une de ses chevilles, et qui remonta le long de sa jambe pour venir se loger dans le ventre. Sans prévenir, des sanglots la secouèrent. Elle courut les cacher dans son atelier.
J’aurais bien aimé connaître l’amour, vivre à deux comme tout le monde. Mais aucun homme ne me convenait.