Chaque respiration émanant de ce petit être de cinq livres était un soulagement ; chaque goutte de lait qu’il avalait, un signe d’espoir ; chaque jour qui s’achevait, une victoire. Sans l’avoir vraiment demandé, Jeanne avait pris toute la place dans la routine de Constance. Elle s’était innocemment emparée de ses heures de sommeil, de ses heures de repas et, finalement,de son banc à l’école du village. Constance n’était pas la première à qui il avait fallu renoncer au savoir pour ramasser tous les quinze mois les joies et les craintes d’une nouvelle naissance.
Derrière l’affabilité des gens, il percevait trop souvent un courant de curiosité mal placée. On le regardait avec des yeux inquisiteurs en se demandant s’il en était revenu, de la belle Simone. On voulait savoir à tout prix s’il avait une créature en vue et quand, pour l’amour du ciel, il se déciderait à lui passer la bague au doigt. Ce qu’il n’était pas près de leur avouer, c’est qu’en effet, il avait déniché la perle rare. C’est tout juste s’il ne la voyait pas dans sa soupe.
Ici, dans un bastion de gens simples et soumis aux enseignements de la sainte Église, le talent était associé à la piété ; les artistes qu’on admirait reproduisaient les formes ou la vie des saints, ou encore la beauté de la nature telle que Dieu l’avait créée. Dans l’esprit de plusieurs, la danse, surtout celle qui transportait Madeleine, relevait d’une pure invention du diable.
« Le souffle de vie se transmet de la mère à l’enfant, disait-il. C’est ainsi que Dieu a conçu la procréation. L’enfant est le renouveau, un symbole de continuité, un cadeau du ciel dans lequel le Seigneur injecte tous ses pouvoirs. Les enfants passent en premier, toujours ! »
Que les garçons soient écartés du mal qui rongeait leur mère, c’était à s’y attendre, mais que le père la laisse, elle, dans l’ignorance, c’était de la pure cruauté. Toujours le non-dit avec lui, toujours cette maudite colère dormante qui faisait frémir ses tempes.