Quand les témoins auront tous disparu et que s'exprimeront les témoins des témoins, puis les témoins de ceux-ci encore, ledit sujet mettra à mal la mémoire des hommes. A moins que, bien sûr, ne s'ouvre l'ère du négationnisme absolu, de l'amnésie généralisée, de l'oubli organisé.
Si nous excluons cette hypothèse catastrophique ou abracadabrante, répétons-nous qu'il y aura toujours des témoignages sur la Shoh à écrire, car certains se révéleront toujours aussi indispensables.
Les niais et les conempteurs qui inclineraient à penser qu'on en a "fait le tour" après avoir lu Levi, Semprun, Antelme,Kertéz et quelques rares autres, ne s'aviseont tout simplement pas que les mille et une nuits et brouillards contés inlassablement par quelque Shéhérazade désespérément intarissable ne sauraient s'interrompre : on en viendra jamais à bout de l'exploration du continent de la mort industrielle et du mal absolu.
Caroline Alexander nous conte dans le registre d’une redoutable sobriété, et même de l’humour, le retour à une « vie normale ». Partant à la recherche des siens disparus dans l’holocauste, elle ne s’épargne évidemment pas l’inévitable pèlerinage à Auschwitz. Mais ce sont souvent des détails qui pourraient sembler insignifiants : les belles jambes de sa grand-mère, sa propre naissance dans un bordel, la lecture de sa carte du ciel, qui nous émeuvent le plus. Les pérégrinations de cette orpheline, de cette apatride, de cette enfant « inachevée » et qui s’est retrouvée avec le temps propriétaire d’une chambre, d’un chat, d’un mari, d’une vie pour tout dire, de soi et sa liberté, vont la mener à traverser, comme les cases d’un Monopoly, Paris, Leicester, Bruxelles et même Blankenberge, Mönchengladbach où tout s’est à l’origine joué. Géographie de la Terreur mais aussi de la renaissance à soi. J’ai souvent pensé que si les nazis pouvaient lire aujourd’hui des livres de cet ordre, ils mesureraient l’ampleur de leur vraie défaite : car ils n’ont pas réussi à tuer chez certains ce goût d’un bonheur invincible.
(Extrait de la préface de Pierre Mertens.)
Cette fois, j'en fus sûre : Dieu n'existe pas. Il est une invention des hommes pour ne pas se sentir trop seuls.