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Citation de Cannetille


A l’arrière de ce qui avait été, un siècle plus tôt, la Fabrique de Fer, se trouvait une colline arborée nommée le Bois Saint-Jean. Là, Frédéric m’avait désigné, mangés par la broussaille, des vestiges imposants et sinistres, noirs résidus de coulées de fonderie qu’on eût pu croire ratées et qui étaient, en réalité, criminelles.
- Les gens les nomment les cloches-tombes, m’avait-il dit. (…) Des tombes en forme de cloches.
Les morts qui s’y trouvaient n’étaient pas nommés. Aucun mémorial ne les signalait, ils faisaient partie de la masse des anonymes de la sidérurgie, ceux qui travaillaient sous la menace du métal en fusion et dont la disparition n’avait laissé aucune trace, pas le moindre cadavre, pas le moindre ossement, pas même un tas de poussière. Cela se passait souvent de nuit. La fatigue, une glissade en sabots dont les ouvriers étaient chaussés avant-guerre, ou un débordement soudain de la fonte tel du lait porté à ébullition. Ces accidents individuels, tus par les sociétés, non archivés, demeuraient dans la mémoire des gens. Frédéric se souvenait avoir assisté, enfant, à des funérailles dont le cercueil de taille réduite ne contenait qu’une petite fraction sauvée du corps de l’homme qu’on n’avait pu retenir dans sa chute vers le gouffre à 1600 degrés. D’autres, brûlés sur certaines parties du corps, en étaient fiers comme de blessures de guerre. Mais qu’en était-il du métallo disparu sans laisser la moindre trace dans une coulée devenue sa seule tombe ? Un cri, une fumée crépitante, puis plus rien, la rivière en fusion poursuivait son chemin.
Je le raconte comme je l’ai compris. La fonte qui avait mangé un homme n’était pas utilisée. Elle était, cette porteuse de malheur, jetée au Bois Saint-Jean. On l’abandonnait, refroidie et durcie, sous les maigres arbres du terril. Autant de cônes sombres, de sculptures archaïques. Point de sépulture, donc, pour les dissous de la coulée, mais une cloche-tombe, une tombe qui offrait l’apparence d’une immense cloche, monstre mélancolique et noir rejoint bientôt par des carcasses de voitures, des déchets de construction, des détritus en tout genre dont il faudrait bien, un jour, nettoyer la zone.
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