Je dois m’aérer l’esprit. Oublier au plus vite l’idée d’être avec Antoine. La douleur que j’éprouve m’entraîne dans un tourbillon de pensées qui ne cessent de me tourmenter. Je veux enfermer le hamster qui tourne constamment dans ma tête. En direction du parc, je me mets à lui parler pour tenter de m’apaiser :
Allez, hamster, va te coucher ! Et ne t’avise pas de te réveiller !
Il était si près de moi. Je suis la reine de la basse-cour : une vraie poule mouillée. Mais comment aurais-je pu ? Je n’ai jamais embrassé un garçon. Les seules fois où j’ai vu des personnes s’embrasser, c’est dans les films d’amour, et quand ma mère et mon père se donnaient des becs sur les lèvres. En fait, le souvenir de leurs baisers ne ressemble en rien à ce que les acteurs prennent plaisir à faire. Les langues de ces professionnels se touchaient et leurs mains se baladaient sur le corps de l’autre. Je n’aurais jamais osé faire une telle chose.
Il est si près de moi. Je ne peux plus tolérer sa présence. Je le pousse avec mon coude et il tombe lourdement. Je me penche et je constate avec effroi qu’il a les yeux fermés. Serait-il somnambule ?
Il lui arrive certainement de se toucher lui aussi. Cette pensée m’excite et je glisse mes doigts sous ma culotte. Tout doucement, je fais des mouvements circulaires de gauche à droite, de droite à gauche. Je me pince le bout des seins avec mon autre main. Cette légère douleur me fait tressaillir de plaisir. J’insère un doigt en moi. Il entre facilement tellement je suis excitée. Je le fais valser dans un mouvement de va-et-vient. J’imagine qu’Antoine m’embrasse le ventre et me chatouille avec sa langue.
Je connais Éric depuis une décennie. J’ai toujours partagé mes soucis avec lui. Mais lui avouer que je suis amoureuse d’Antoine… il ne comprendrait pas. Comment lui dire que la première fois que j’ai vu Antoine, c’était déjà trop tard, que, dès la première minute, je ne voulais être qu’avec lui ?
Non, Éric ne comprendrait pas. Et il ne le supporterait pas. Après tout, il m’a clairement fait comprendre par le passé qu’il éprouvait des sentiments plus forts que de l’amitié pour moi.
Jamais je n’avais osé explorer moi-même cette partie de mon corps. J’ai toujours peur de penser à mon bourreau, mais, ce matin, c’est le visage d’Antoine que je vois. Je me sens légère. Je me caresse doucement, puis plus rapidement. Ce que j’éprouve est déroutant. Je ne m’attendais pas à ressentir un tel plaisir. Je mets mon édredon dans ma bouche et je lâche un cri sourd. Je suis saisie de spasmes des pieds à la tête.
Je voudrais tant qu’il m’embrasse.
Je m’imagine poser mes lèvres doucement sur les siennes. Antoine devient l’esclave de mes fantasmes. Il ouvre la bouche et glisse sa langue en moi. Il passe la main sous le haut de mon pyjama. Mes seins se dressent. Il dirige ma main sous son boxer. C’est troublant comme sensation. Je sens la chaleur de cette partie de son corps que je n’ose pas nommer et encore moins regarder.
J’apprécie cet homme, qui est d’une grande douceur. Je sens que ma mère est bien avec lui. Avec mon père, c’était plus compliqué. Quand j’étais toute petite, il était souvent absent. Il disait qu’il était très occupé à son travail. Ma mère l’avait toujours cru jusqu’à ce qu’il lui annonce froidement qu’il la quittait. Je me souviens vaguement de toutes ses absences.
Pour une fois, je sentais que j’exerçais un contrôle sur ma peine et mon désespoir. Je n’étais toutefois pas devenue une psychopathe incapable de ne ressentir aucune émotion. Je laissais la rage et l’amertume prendre toute la place, car j’avais vite compris qu’il était préférable de cohabiter avec la colère et le ressentiment, moins cruels.
Ce que tu ressens est de la pure folie. Aucune personne ne devrait jamais tomber amoureuse du fils du chum de sa mère. Ce n’est pas dans l’ordre des choses. Que diraient les autres ? Que penserait la famille ? Essaie de te contrôler. Tu dois changer ta façon de voir Antoine. Il est comme un frère après tout. Tu vas taire ce que tu ressens.