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Citation de EffeLou


« J'aperçois quelque chose qui vient.
— Un veau qui s'est détaché », dit son frère.
Ce qui venait était trop éloigné encore pour qu'on le distingue nettement. Les pêchers en fleur qui bordaient la route avaient, sous la lune, des ombres difformes. Le parfum des fleurs printanières et de l'herbe neuve se mêlait à l'odeur acre et sourde des marais.
« Non, dit Stumpy MacPhail, c'est le gosse de quelqu'un. »
Miss Amelia regardait silencieusement la route. Elle avait jeté sa corde et tripotait de sa main brune et sèche les sangles de sa salopette en fronçant les sourcils. Une mèche de cheveux sombres lui cou­vrait le front. Pendant qu'ils attendaient, un chien se mit à hurler, dans l'une des maisons du bas de la route — hurlements furieux, enroués, qu'une voix finit par faire taire. Il leur fallut attendre que la silhouette soit tout près d'eux, dans le rond de lumière de la véranda, pour savoir exactement qui venait.
L'homme était étranger — et c'est bien rare qu'un étranger pénètre à pied dans cette ville à une heure pareille. De surcroît, l'homme était bossu. A peine quatre pieds de haut, une vieille veste couleur rouille qui lui arrivait aux genoux, de petites jambes torses qui paraissaient trop fragiles pour le poids de son énorme poitrine et de la bosse plantée entre ses deux épaules, une tête très large, des yeux bleu sombre, une bouche comme un rasoir, un visage insolent et doux à la fois, couvert de poussière ocre, avec des ombres bleu lavande autour des paupières. Il tenait maladroitement une valise fermée par une ficelle.
« 'Soir », dit le bossu, et il était hors d'haleine.
Sous la véranda, personne ne répondit à ce salut ; ni Miss Amelia, ni l'un des quatre hommes. Ils se contentèrent de le regarder en silence.
« Je cherche la piste de Miss Amelia Evans... »
Miss Amelia écarta la mèche de son front, et leva le menton :
« Comment ça ?
— Je suis de sa famille », dit le bossu. Stumpy MacPhail et les jumeaux regardèrent du côté de Miss Amelia.
« C'est moi, dit-elle. Vous entendez quoi, par « famille » ?
— Eh bien... »
Le bossu semblait mal à l'aise, presque au bord des larmes. Il posa sa valise sur la dernière marche du perron, mais garda la poignée en main.
« Ma mère s'appelait Fanny Jesup, et elle était de Cheehaw. Elle a quitté Cheehaw, il y a une tren­taine d'années, après son premier mariage. Elle parlait souvent d'une demi-sœur qui s'appelait Martha, je m'en souviens. Et, quand je suis revenu à Cheehaw, on m'a dit que cette Martha était votre mère. »
Miss Amelia écoutait, la tête légèrement penchée. Tous ses repas du dimanche, elle les prenait seule. Aucun troupeau de parents n'encombrait sa mai­son, et elle ne se réclamait d'aucune famille. C'est exact qu'à Cheehaw elle avait eu autrefois une grand-tante qui louait des chevaux, mais cette grand-tante était morte. Il lui restait seulement un cousin issu de germain, qui vivait dans une autre ville, à vingt miles de là. Mais ce cousin s'entendait assez mal avec elle, et, quand il la rencontrait par hasard, il crachait sur le côté de la route. Certains mettaient parfois tout en œuvre pour se découvrir une parenté quelconque avec Miss Amelia, mais sans aucun succès, jamais.
Le bossu se lança dans un discours incohérent, cita des noms, des lieux, qui semblaient n'avoir aucun rapport avec le sujet et que ceux qui étaient sous la véranda n'avaient jamais entendu pronon­cer.
« Fanny et Martha Jesup étaient donc demi-sœurs, et comme je suis le fils du troisième mari de Fanny, je pense que vous et moi... »
Il se pencha, et commença à dénouer la ficelle de sa valise. Il avait les doigts sales et tremblants comme des griffes de moineau. Sa valise était rem­plie d'une camelote bizarre — vêtements en lam­beaux, objets rouilles qui ressemblaient aux pièces détachées d'une machine à coudre, ou à quelque chose de même valeur. Il farfouilla longtemps, et finit par trouver une photographie :
« Ma mère et sa demi-sœur. »
Miss Amelia ne disait rien. Elle remuait douce­ment les mâchoires. Ce qu'elle pensait était écrit sur son visage. Stumpy MacPhail prit la photographie et l'approcha de la lumière. Elle représentait deux petits enfants maigres et pâles, dans les deux ou trois ans. Leurs visages étaient deux taches blan­ches. C'était une vieille photographie qu'on aurait pu trouver dans l'album de n'importe qui.
Stumpy MacPhail la rendit sans commentaire.
« D'où venez-vous ? » demanda-t-il.
La voix du bossu paraissait indécise.
« J'ai voyagé. »
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