Il lâche un petit rire aucunement naturel et je remarque son changement de sujet non subtil... Je n'ose plus le contredire de peur de passer pour une folle mais il a tort et il le sait aussi bien que moi, je viens d'arriver et je n'étais qu'une enfant lorsque je suis partie d'ici. Il semble me cacher quelque chose. Voyant que je ne "tombe pas dans le panneau" car à mes yeux c'est très clairement ça, il esquisse un sourire entendu et me tourne le dos avec un "à plus". Je le regarde s'éloigner et ne peux, malgré moi, m'empêcher de penser que son short lui va... Plutôt bien. Mais qui est-il donc ?! Pourquoi me fait-il cet... cet effet ?! Ça va m'obséder, cette connerie.
- Qu'est-ce que tu m'as fait !
Cette phrase est courte et pourtant j'ai l'impression d'avoir accompli un exploit pour la formuler tant ma tête me lance. Je voulais qu'elle sonne comme une injonction mais la réalité est que ma voix a plutôt tout d'un petit chien ridicule essayant d'aboyer sur un énorme qui se contrefiche de me regarder... comme ces horribles chihuahuas qui jappent sur le rottweiler, comme s'ils ne se rendaient pas compte qu'un seul claquement de mâchoire suffirait à les faire disparaître, eux et leurs pitoyables résonances sonores... Grand dieu, je suis le chihuahua...
Il se met à chanter à tue-tête, mieux, il se met à vivre la musique ! Il fait tout à la fois, le chant, les chœurs, les instruments... Impossible de l'arrêter et je ne peux m'empêcher de sourire, pour le coup Edouard se met à rire.
- Qu'est-ce qu'il y a ?
- Eh bien vois-tu, ça fait deux semaines que tu es ici et je ne t'ai pas vu sourire une seule fois alors forcément je m'étais imaginé un tas de choses ! Tu sais, des dents de requin, pas de dents du tout !
Ce mec est fou mais il arrive à m'arracher un second sourire, chose exceptionnelle.
- Élizabeth...
Un frisson s'empare de moi et de lui, mon prénom. Je suis certaine de ne jamais lui avoir dit et pour cause je ne le dis à personne. Je ne peux me défaire de son regard et je le sens encore plus proche de moi, en fait ce n'est pas de la proximité mais... de la fusion. J'ai la sensation qu'il est en moi comme je suis en lui. J'arrive à sentir les battements de son cœur, son stress et ses angoisses, sa peur... Comme s'il s'apprêtait à me révéler une chose qu'il ne devrait pas.
Mon monde s'est arrêté, pourquoi le leur continue ?
- Lizzie, comment te sens-tu ?
Je ne réponds pas, qu'est-ce que je peux bien dire ? Qu'il y a deux heures de cela j'ai essayé d'attenter à mes jours ? Que le voisin m'a parlé dans ma tête mais que là je me sens mieux et que je suis déterminée à aller le trouver pour lui demander des explications sur tout ça ?
- Il faut.
L'aéroport est rempli et je patiente en observant les passants, tous semblent vivre comme si de rien n'était, alors que moi, il me semble que plus jamais je ne vais pouvoir "vivre" et, malgré moi, cela me procure un sentiment de colère. Mon monde s'est arrêté, pourquoi le leur continue ?
Les premiers jours, je pensais pouvoir échapper à tout cela, la souffrance aurait diminué, le souvenir disparu, et l'absence quotidienne ne m'aurait pas dérangée. J'aurais réussi à reprendre ma vie comme tout un chacun. Seulement... Après deux mois, il n'en était rien.
Je suis perdue, je ne comprends rien et je déteste ça.