Catherine Delons présente son livre "Baudelaire et Honfleur".
On me refuse tout, l’esprit d’invention et même la connaissance de la langue française. Je me moque de tous ces imbéciles, et je sais que ce volume, avec ses qualités et ses défauts, fera son chemin dans la mémoire du public lettré, à côté des meilleures poésies de V. Hugo, de Th. Gautier et même de Byron.
Juillet 1857
Les semaines que passa Baudelaire sur la Côte de Grâce, en 1859, correspondent à une période d'exceptionnelle fécondité poétique. Des textes furent écrits dans une petite chambre mansardée qui donnait sur la mer, d'autres furent inspirés par la contemplation du port et de l'estuaire. Chez Baudelaire, toujours, la vie et l'oeuvre se mêlent. Source de thèmes et d'images, Honfleur est le lieu où vit une mère passionnément aimée, avec qui les relations ont longtemps été conflictuelles. La mort du général Aupick permit à Baudelaire de voir, en cette jolie maison, un foyer, le seul refuge possible, contrepoids à une existence précaire et remède à une profonde solitude. Mais au lieu de retourner à Honfleur, d'y séjourner durablement, de s'y installer, comme il promet sans cesse de le faire, Baudelaire entretenant l'image de ce paradis à portée de main, semble multiplier les obstacles qui l'en sépare. Pourquoi Honfleur, cette promesse de bonheur, se transforme-t-il en mirage ?
Je me suis proposé de restituer les relations passionnelles qu'entretinrent Baudelaire et Mme Aupick. En montrant alternativement les points de vue de la mère et du fils, j'ai voulu rendre sensibles la constante opposition de leurs désirs, de leurs valeurs, ainsi que le non moins constant décalage entre la mère rêvée et la mêre réelle. Amour éperdu, solitude, difficultés matérielles, souffrances, tutelle infantilisante, nombres de facteurs attachent ou assujettisseent Baudelaire à sa mère. Aimante ou hostile, proche ou lointaine, Caroline Aupick demeure le port auquel le navire Baudelaire aspire inépuisablement à jeter l'encre, et l'on peut, sans grand risque d'erreur, malgré la tumultueuse liaison du poète avec Jeanne Duval, estimer que Mme Aupick fut le plus grand amour de son fils.
"Considerant qu'il est à la parfaite connaissance des membres composant le Conseil de famille que dès les dernières années de sa minorité M. Charles Baudelaire a manifesté les dispositions de la grande prodigalité
Que le Conseil de famille pendant cette même minorité avait cru devoir prendre des mesures qui paraissaient convenables pour le défendre contre de fâcheux entrainements et le ramener à un esprit d'ordre et de régularité dans ses dépénses, mais que les mesures ont été complètement inefficaces
Que M. Baudelaire, une fois parvenu à sa majorité, étant maître de sa fortune s'est livré aux plus folles prodigalités ; que dans l'espace de dix-huit mois il a dissipé prs de la moitié de son patrimoine qui s'élevait à un capital d'environ cent mille francs et que les faits les plus récents donneraient lieu de craindre que le restant du patrimoine ne fût complètement absorbé si l'on mettait le moindre retard à le pourvoir comme prodique d'un conseil judiciaire.
Par ces motifs le Conseil de famille a été avec nous d'avis à l'unanimité qu'il y a lieu de pourvoir M. Charles Baudelaire d'un conseil judiciaire sans le concours duquel il ne puisse faire les actes excédant ceux de simple administration."
A Honfleur, le poète aura connu sa dernière, et sans doute sa plus faste époque créatrice. Alors oui, sans doute pouvons-nous dire que, sans Honfleur, Baudelaire n’eût pas exactement été le poète que nous connaissons et admirons.
Vendredi 19 février 1858 (extrait)
Je porte dans ma tête une vingtaine de romans et deux drames. Je ne veux pas d'une réputation honnête et vulgaire ; je veux écraser les esprits, les étonner, comme Byron, Balzac ou Chateaubriand. Est-il encore temps, mon Dieu ! - Ah ! si j'avais su, quand j'étais jeune, la valeur du temps, de la santé, et de l'argent ! - Et ces maudites fleurs du mal qu'il faut recommencer ! Il faut du repos pour cela. Redevenir poète, artificiellement, par volonté, rentrer de nouveau un sujet qu'on croyait épuisé, et cela pour obéir à la volonté de trois magistrats niais !
A l’âge où je suis arrivée, pour que je puisse jouir de la réputation que mon fils va acquérir par cette publication, il n’y a pas un moment à perdre.