Tara est encore plus déçue que moi, mais elle tente de faire bonne figure. Depuis qu’elle sait, elle prend cette histoire à bras le corps, elle en fait une affaire personnelle. Cela m’inquiète, je ne veux pas qu’elle en souffre. Je ne suis pas si égoïste en définitive. Je suis partagé entre le soulagement de lui avoir parlé et l’inquiétude de la déstabiliser. Je sens déjà qu’elle prend beaucoup sur elle. Elle ne cesse de me réconforter et de me donner de l’espoir. Cela doit forcément être épuisant. Je me dis que la situation serait similaire si j’avais une maladie incurable, elle se comporterait de la même façon.
C’est en début d’après-midi que mes envies m’obsèdent, mes nouvelles pulsions... J’ai changé, je ne suis plus le même. Je ne suis plus uniquement un jeune de vingt ans sans argent, qui fait un travail minable et vit encore chez ses parents en attendant des jours meilleurs. Avant, je sortais avec mes amis, rencontrais des filles, passais les week-ends à boire et à draguer. Oui, avant je ne me cloîtrais pas chez moi dès la tombée de la nuit
, tel un reclus, comme un malade, une sorte de monstre… Mais c’est pourtant ce que je suis devenu. De toute façon, il n’existe pas de mot précis et juste pour me définir.
À minuit, ma métamorphose commence devant mon amie extrêmement attentive, absorbée et fascinée. D’abord, ce sont mes yeux phosphorescents qui reprennent leur pâle éclat humain, puis c’est au tour de mes griffes qui disparaissent, laissant réapparaître mes mains ordinaires aux doigts maigres. Enfin, lentement, je retrouve mon corps en son entièreté, en seulement quelques secondes. Elle est visiblement sidérée, n’osant parler. Je la comprends, que pourrait-elle dire ? Je considère son silence comme un signe de compassion et de respect pour ma curieuse condition.
Je n’ai jamais compris pourquoi mes parents ont acheté cette vieille demeure délabrée. Malgré les rénovations, ils n’ont pas réussi à lui ôter son aspect austère et sinistre. Les façades sont parsemées de longues fenêtres en ogives, recouvertes d’un lierre récalcitrant.
C’est ton signe distinctif, Gwendall. Non seulement tu dois tuer pour retrouver ta liberté, mais tu peux envoûter aussi d’autres êtres humains. Tu en as le pouvoir, tu l’as hérité de Pandora, la plus dangereuse et puissante des sorcières de Brasach !
J’ai la désagréable impression d’être tel Alice au pays des merveilles, je ne sais plus ce qui est réel ou non, mes références en la matière sont mises à mal ces derniers temps.
Je me sens donc encore plus seul. Et submergé de chagrin. Je commence à me comparer à une sorte de monstre dangereux.
La vie prête mais ne donne pas!