Citations de Cécile Fargue Schouler (21)
Ce matin, en me réveillant, j’ai trouvé sur la table juste à côté de mon lit une liasse de papiers réunis, agrafés, petit pavé blanc immaculés. Je l’ai pris. Il m’a fallu le tourner et le retourner plusieurs fois dans ma main, l’ouvrir, lire des mots au hasard, le refermer, le poser, le reprendre… pour le reconnaître enfin. Derrière son air définitif, il y avait Toi, moi, les mots que depuis des semaines je t’écris ici, l’amour qui ne s’en va jamais. Ils étaient soudain là, tous, dans ma main. C’était bien un livre, un vrai. Un que tu aurais pu toucher.. […] Et c’est comme si soudain t’était rendu tout ce qui t’avais été pris. Un poids, une place. Enfin.
Ta bouche entrouverte, pas un cri ne sort de la mienne, tous les sons sont trop petits.
Je n’aime pas le mot de témoignage parce qu’il y a cette idée d’à charge et à décharge, cette idée de transformer un être en étendard. Ce livre en est un. Mais il n’y a pas de héros, il y a beaucoup plus, il y a quelqu’un que vous n’avez jamais vu et à qui vous avez manqué.
Les passants, sur les trottoirs, se sont remis à passer, à passer à autre chose, comme toujours, et elle est restée sous la pluie avec ses bateaux en vague mouillée au bord de l’iris
Oh ! Il faudra que je te dise un jour. Te dise que la beauté est au premier qui passe, qu'on s'en fou, que le reste s'apprivoise. Que c'est à tes failles que je m'attache, que je m'encorde. Que les jolis vernis se décolorent bien vite. Que c'est aux déformation de ses veines que l'on reconnait l'essence de l'arbre...
Oh ! Il faudra que je te dise un jour. Te dise que la beauté est au premier qui passe, qu'on s'en fou, que le reste s'apprivoise. Que c'est à tes failles que je m'attache, que je m'encorde. Que les jolis vernis se décolorent bien vite. Que c'est aux déformation de ses veines que l'on reconnait l'essence de l'arbre...
S’il te croise ainsi presque toutes les nuits, marchant des heures, c’est que tu es à coup sûr une sorte de veilleur. Tu fais ta ronde et attends que le jour prenne le relais. Et ce bruit sous ton pied, c’est celui des clefs qui te servent à tout cadenasser…
Parce que tout à l’heure, une queue à la main, quelqu’un viendra les forcer et déchirer encore une fois demain. Parce que, tu ne le sais pas, mais à cet instant, le coeur affolé dans ma poitrine c’est de ta vie qu’il bat le trop plein.
Il n’est rien que le regard humain ne puisse soutenir, rien que sa lumière ait à envier aux prières.
La laideur est de notre seule infirmité, le dommage collatéral de nos yeux baissés.
Ce n’est pas insupportable de vous regarder, rien n’empêche de vomir la bouche fermée, c’est terrifiant. Terrifiant de voir comme rien ne se fissure, tout reste en place. Terrifiant de penser à toutes ces nuits qui ont déjà existé, où j’ai dormi sans ne rien savoir, où tu as été seul sans personne pour voir. Alors cette nuit je regarde, à m’en faner l’iris, je regarde. Mes deux yeux, seulement deux, c’est si peu…
Au creux de ton bras, à l’endroit où ta peau si sensible s’électrise aux moindres frôlements, je pose ma langue. Aux rides amères de la seringue glisse mes lèvres et lentement te baise à l’endroit de l’interdit.
Le soir tombe et avec lui ta tête sur ma cuisse. Ta nuque est blanche et fine, presque féminine. Elle ne bouge pas lorsque ma main se pose doucement sur elle.
« Tu partiras quand tu voudras. »
« Oui. »
Je repense aux jolis escarpins vernis de la mère de famille, à ses larmes naissantes qui n’ont pas fait couler le rimmel de ses cils.
Un jour tu as traversé la rue.
La suite, elle est là. C’est ma mémoire, ce sont tes mots, ces jours, ces mois passés ensemble et que je vais dire. Que je vais dire pour que rien ne soit plus ignoré, pour que tu n’aies pas traversé cette rue pour rien…
Nous avons encore à nous écouter et à nous dire, je le sais. L’absence n’est pas un silence, juste une note à contre temps, qu’il faut lire sur une bouche fermée.
Sur l’allée blanche du cimetière, tes mots tremblotaient, loin de tes lèvres fermées. Ils avaient peur, je crois, que je les laisse moi aussi, peur de l’ombre haute des cyprès, peur de la rondeur du gravier, de cette armée de points finals… Alors, je les ai recueillis parce qu’ils étaient de toi tout ce qui subsiste. Je leur ai promis qu’un jour ils auraient assez de souffle pour revenir te chercher, assez de place et d’air pour parler, haut et fort, seuls, sans même moi pour les protéger.
J’ai toujours été sensible aux voix, à ce membre de plus qui nous pousse lorsque l’Autre se fait soudain trop éloigné. Et bien plus que les écouter, j’aime les regarder. Regarder la façon dont elles découpent le silence, la manière qu’elles ont de souligner le corps, trait fin ou appuyé. Il y a tant d’eaux où plonger en dessous de ces passerelles jetées...
Tous les mots que tu n’avais pas su dire, pas su élever. Ceux que tu avais crachés comme les pépins d’un fruit dont tu ne voulais plus laisser venir la pourriture. Ils étaient là, devant moi, abîmés comme les miens, ne sachant pas très bien où aller, ne se résignant pas à te rejoindre tout à fait.
On s’est regardé un long moment eux et moi. Leurs discours étaient embrouillés, chacun voulait parler le premier, et à tous les entendre je n’en écoutais aucun, mais je reconnaissais ta voix.
Un homme qui fait le poirier devant un homme qui ne fait que se pencher… Je n’avais pas vu que tu avais la tête à l’envers, je n’avais vu que tes empreintes. Plus hautes.
Même si tout cela existe, je continue pourtant de creuser cette terre, de vivre de miracles… et sans lâcher la tienne garder mes demains libres. La mort n’a pas fait de moi ta veuve. Je ne le serai jamais. Je suis notre descendance.