Depuis longtemps, les mots avaient été mon arme et mon armure. Mais alors et pour la première fois de ma vie, mes anciens alliés, ces milliers de mots que j'avais éperdument assemblés, devinrent ma prison : la rigidité de mes déductions dressait des paravents tout autour de moi. "Le déprimé sait que ses humeurs le déterminent de fond en comble, mais il ne les laisse pas passer dans son discours." Ne les laisse pas se diluer dans ce discours. Mes incessants récits d'épisodes depuis trop longtemps révolus m'amarraient à l'émotion ressentie : ils me permettaient d'entretenir la croyance en une forme de survivance d'un passé que personne ne voulait plus partager avec moi. Mes phrases m'entraînaient avec elles et elles n'entraînaient que moi. Tout allait dans le même sens et je m'épuisais.