Charlène Law

La réalité vient de dépasser la fiction. Je viens de les traumatiser à vie. Je m’en veux de les avoir embarqués dans toute cette merde. Le trajet me semble durer une éternité. Marj s’est calmée. Sous le choc, elle ne parle plus et fixe un point au loin comme si son âme avait quitté son corps. Elle me fait peur. Tom sur le qui-vive surveille toujours les mecs du coin de l’œil, prêt à protéger sa belle. Recroquevillée contre la portière arrière, j’attends. Je m’imagine tous les scénarios même les plus fous pour nous sauver, mais mes amis ne sont pas entraînés à ça, je le suis à peine et j’ai peur pour eux. Ma survie m’importe peu mais la leur… Pour ma part, je comptais y retourner. Ces hommes me servent seulement de taxi. Un taxi particulier, faut l’avouer.
Je ne sais pas comment tout ça va finir…

Pas de travail correct, pas de mec à la hauteur, rien du tout, c’est le néant. Et pourtant j’étais bien décidée à prendre le taureau par les cornes il y a quelques jours. Savoir que cette Lucy va retrouver son amour et que je ne recevrai plus de lettre m’a littéralement mis un coup de massue. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Peut-être que ces lettres ont animé ma vie banale, cette vie qui me pèse parfois. Secrètement j’aurais aimé échanger avec lui quelques lettres. Mais maintenant qu’il est sorti, j’en connais une qui doit avoir le cul en feu. Tout le contraire de moi. Je suis un pur iceberg.
Chaque matin quand je le croise, je demande au facteur si je n’ai pas reçu une lettre. Ça en devient pathétique. Je m’en rends bien compte, mais l’espoir fait vivre, à ce qu’il paraît.

C’est fou ce qu’on peut changer avec les années ! C’est devenu un homme ultra-sexy. Je fonds encore plus que lorsque j’étais adolescente. Et pourtant ! Je me souviens encore de notre première fois. Après des mois de « je te veux, moi non plus », nos hormones juvéniles ont sauté le cap une après-midi d’été. J’étais folle amoureuse de lui. On avait 15 ans à l’époque. Il était ma première fois et je ne l’oublierai jamais. Entre ses bras, le monde cessait de tourner. J’oubliais tout. J’étais prête à tout pour lui.
J’aurais déplacé des montagnes pour que son père abatte sa rage sur quelqu’un d’autre que lui. Je pense que l’alcool était pour beaucoup dans l’attitude de son père, car à chaque fois qu’il battait son fils, le jour suivant il faisait tout pour se racheter.

Je rêve de connaître un amour aussi passionné. Cet homme semble éperdument amoureux. Mais maintenant que j’ai ouvert cette lettre et vu son contenu je ne pourrai jamais regarder la destinataire dans les yeux : « Excusez-moi, je vous redonne votre courrier, il est ouvert, mais je mourais d’envie de lire la lettre. Pardonnez-moi si vous trouvez des traces de bave dessus, je n’ai pas pu résister ! »
C’est fichu, j’ai brisé un amour. Elle ne recevra jamais la lettre et elle pensera qu’il n’a pas répondu à la sienne.
Et si je la remettais dans une enveloppe neuve ? Faut-il encore que je trouve un magasin où acheter ces enveloppes rouges !

Je sais que nos jours sont uniques et qu’il n’y en aura pas d’autres. Chaque minute, chaque heure, chaque jour qui passent sont un bout de paradis offert par le ciel. Quelque chose en moi me souffle qu’il faut vivre passionnément tous les instants volés auprès de lui. Avec le pays à nos trousses, je ne suis pas sûre de passer les douanes. Je me demande même si Aaron n’a fait pas exprès de m’emmener ici afin que nous y vivions nos derniers moments ensemble, coupés du monde, à la faible lumière des bougies. Nous nous endormons paisiblement loin de tous les tracas qui grouillent autour de nous.

J’avoue que l’idée de me mettre au chaud et en sécurité dans une chambre où je pourrai poser mes fesses dans un fauteuil bien douillet me tente bien. Le problème est que je ne le connais pas. Si pour une raison ou une autre il s’imaginait qu’en acceptant son idée je lui laisse une porte ouverte… Et si, une fois là-haut enfermés dans la chambre d’hôtel, il me sautait dessus… Qu’est-ce que je ferais ? Vu sa carrure, impossible pour moi de me défendre.
Je réfléchis encore et encore. Mille questions me traversent l’esprit. Entre la raison et l’envie, il n’y a qu’un pas.

Je t’aime à ne plus pouvoir. Tes courbes, ta peau, ton odeur, je les emporte avec moi. Le souvenir de ton amour me permet de ne pas avoir peur. Laisse le temps cicatriser ta peine. Où que je sois, n’oublie jamais, que je suis en toi et à côté de toi, à jamais pour l’éternité. Souviens-toi de la force de notre amour. Il te guidera vers un avenir meilleur. Pardonne-moi de t’avoir embarquée dans mon monde qui n’était pas fait pour une femme aussi douce et aussi fragile que toi, mais je ne pouvais pas te laisser seule face à tes faiblesses destructrices.

Je me regarde dans le miroir à la recherche de nouvelles marques de vieillesse. Je n’ai que 31 ans, mais j’observe que de petites rides de plus en plus nombreuses s’invitent sur mon visage. Ce reflet reste sans appel sur mon capital jeunesse, je serre les dents. Avant 30 ans, on peut se réveiller à côté d’un mec sans se poser de questions. Fraîche comme la rosée du matin. On ne risque pas de le faire fuir avec nos poches sous les yeux, nos cheveux en bataille et notre corps qui craque de partout comme une vieille machine d’antan

Mon cœur me fait mal tellement il tambourine à l’intérieur de ma poitrine. Tous les souvenirs de mon adolescence reviennent à la surface. Ses lèvres effleurent ma bouche pendant que ses mains me maintiennent en place, pour que je ne puisse pas lui échapper. Je ferme les yeux et savoure la douceur de son contact sur ma peau. Il m’embrasse tendrement. Ses dents me mordillent la lèvre inférieure. Je le laisse faire. C’est divin. Je reste pendue à ses lèvres. Son baiser s’emballe. Il me mange et me dévore.

Mon regard se baisse encore et le détaille sans aucune pudeur. Je ne me reconnais pas. Jamais auparavant, je ne me serais permis de violer un mec avec mes yeux. La peau encore humide, il déambule dans la pièce laissant des traces de pieds sur la moquette. Je devine sous cette maudite serviette ses jolies fesses rebondies. Bordel, il est à tomber. Je remarque malgré tout des cicatrices sur son flanc et dans son dos. Je me demande bien ce qui lui est arrivé pour avoir de telles marques sur le corps.