MYSTICISME
FILS d’un siècle où le beau n’est plus que le réel,
Où jusqu’au fond des pleurs on a jeté des sondes,
D’un siècle où l’analyse, en disséquant les mondes,
A désespéré l’homme et dépeuplé le ciel,
Je garde, ingrat rêveur, le regret éternel
De la vision bleue et des chimères blondes :
Volontaire captif des ténèbres profondes,
La lumière m’est dure et le vrai m’est cruel.
Je cherche des soupirs sous le rire des femmes ;
À travers les yeux clos je touche mieux les âmes ;
Ce sont les cœurs muets qui me parlent tout bas ;
Et j’aime éperdûment, comme au temps de l’Astrée,
Une femme, en secret à jamais adorée,
Qui s’appelle Climène et qui n’existe pas.
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La vie a pour chacun, une fois au moins dans son éternité de douleurs, l'heure exquise qui ferait accepter toutes les autres. Pour l'amant, c'est l'ivresse du premier aveu, du premier amour heureux et confiant, de la première tendresse sans larmes. Pour le poète ou l'artiste, c'est l'œuvre qu'il rêve et qu'il va entreprendre, l'œuvre dans laquelle il mettra tout son être. Pour le penseur, c'est une idée saisie ; pour le savant, c'est une vérité démontrée ; pour la femme triste, c'est un déshérité qu'elle console ; pour le malade d'amour, c'est une petite jouissance puérile et délicieuse, — une fleur tombée ou un gant jeté. Cela n'est rien, et toute la vie tient dans ce moment-là. Et, pour ce moment, pour ce moment seul, précédé de souffrances, suivi de souffrances, nous devrions bénir encore la vie, — la vie qui nous a donné ce qu'elle pouvait nous donner, une heure d'extase et d'oubli.
EN FACE
Dès son majestueux et paisible réveil,
Dès les pâles rayons de l’aurore première,
Le soleil monte, à flots nous versant la lumière,
Faisant rouler du feu dans l’abîme vermeil.
Au milieu des déserts qui dorment leur sommeil,
Debout sur la colonne, auprès des sphinx de pierre,
Plus d’un stylite fou s’est brûlé la paupière
À défier la flamme ardente du soleil.
Mon soleil, c’est l’amour. Quand il monte dans l’âme,
On n’ose contempler l’infini qu’il enflamme
Plus vaste mille fois que le désert des cieux.
Mais je veux, enivré de lumière et d’aurore,
Le bravant, ce soleil qu’on fuit et qu’on adore,
Le regarder en face, et m’y brûler les yeux.
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[...] La vie est surtout monotone et c'est cette monotonie même qu'il s'agit de supporter courageusement et simplement.
La vie est surtout monotone et c'est cette monotonie même qu'il s'agit de supporter courageusement et simplement.
LA TACHE DE SANG
Près du noir chemin creux où tremble le passant,
La maison délabrée a l’air féroce et louche,
Et, sous la pourpre en feu du soleil qui se couche,
Un reflet rouge et fauve y glisse en frémissant.
Dans la chambre déserte où le reflet descend,
Tout dort enseveli, morne, effrayant, farouche :
Seulement on peut voir, quand la lumière y touche,
Vivant aveu du crime, une tache de sang.
Tel ce cœur déjà froid. Comme dans la chaumière
Où tombe par hasard un rayon de lumière,
Un rayon de tendresse y tombe quelque jour.
Mais il ne trouve plus, dans ce cœur rempli d’ombre,
Où mourut tristement un douloureux amour,
Qu’une tache de sang, noire, muette et sombre.
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LA FLEUR ROUGE
Près du fleuve dolent qui se lamente en paix,
Devant la forêt vierge, au bord de l’eau chantante,
La rouge fleur, mortelle au passant qu’elle tente,
Dort son cruel sommeil sous le feuillage épais.
Le feuillage est tranquille et sombre, l’air est frais :
Le voyageur suspend sa marche haletante,
Il respire la fleur, s’assoupit pour l’attente,
Et le pâle endormi ne s’éveille jamais.
J’ai respiré la fleur de l’amour. — Elle grise,
Elle fait défaillir la volonté surprise
Et le cœur se sent lourd d’une étrange douleur.
Et pourtant, enivré du poison qu’on adore,
Lassé, tremblant, mourant, on se soulève encore
Pour mourir tout à fait en épuisant la fleur.
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LA NEIGE
La neige tombe, errant sur les plaines glacées,
Couvrant les bois séchés de son doux linceul blanc,
Arrêtant les ruisseaux qui pleurent, et voilant
Les arbres abattus et les feuilles froissées.
Dans ce cœur, qui souffrait des souffrances passées
Et qui croyait mourir de son mal sûr et lent,
L’oubli tombe déjà, paisible, consolant,
Et fait taire l’angoisse atroce des pensées.
Pauvre arbre déjà froid, pauvre arbre morne et seul,
La neige t’a couvert de ton dernier linceul,
Cachant tes rameaux morts et ta tête courbée.
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Rien ne vous donne de l'esprit comme le bonheur.