Charles Nemes - Deux enfants du demi-siècle
"Selon Toussaint, l'amour était bon pour les autres, ceux qui acceptaient de souffrir, de s'emprisonner, de se résoudre à une vie sans embardées. Aiguillonné par le double dépit de ses échecs avec Thérése et Marie, il observait le romantisme avec une "lucidité d'entomologiste."Et de profiteur , il avait bâti sa fortune érotique sur la consolation des femmes déçues ou trahies, celles que leurs conjoints officiels ne désiraient plus, ne considéraient plus, ne voyaient plus ......"des coques vides.".....
Dormir était gâcher son existence, sacrifier sa lucidité, oublier que l’inaccessible perfection de l’être ne s’approchait qu’au prix des efforts que l’on s’imposait. Elle tenait ces principes naïfs et contraignants d’un père chaque jour debout à cinq heures, ouvrier veuf tombé en préretraite vers la fin des trente glorieuses, qui dispensait son éducation à ses deux enfants tétanisés au moyen de sentences confuses, et ne concevait d’avenir pour sa fille que domestique, tout en exigeant que son fils prît sa suite en usine.
Un dîner de retrouvailles avec l’héroïne de sa jeunesse, l'occasion de comparer leurs parcours, de se demander s'ils ressemblaient à leurs parents dans leur façon d'éduquer leurs propres enfants, la perspective d'un rendez-vous avec Thérèse était devenue irrésistible.
Robert ne parvenait pas à croiser les regard de cet homme qui énumérer sans ciller les avantages de son inexistence. S’il ne voulait pas de lui pour fils, Robert pouvait l’assurer de la réciproque. Il l’embrassa par surprise.
-Merci, monsieur ! Vous m’enlevez tous mes regrets. Adieu.
Il le quitta sans se retourner, entre colère et soulagement, ignorant qu’il prenait la direction opposée de la gare. Il erra une heure dans la ville avant de retrouver son chemin, tremblant, pleurant, riant.
-Je suis fier d’être un Itzkowitz, dit Robert à sa mère en descendant du train, certain de ne plus jamais parler de son père.
Comme c’était simple ! Les financiers ne comprennent rien au quotidien des fauchés.
Les revues de mode perdirent de leur attrait, les talk-shows de leur kitsch, le savon de son parfum. L'anxiété matérielle avait repris le dessus.
Il fut engagé et commença sur-le-champ. Un chef de service lui confia un empilement de colis à trier pour tester sa résistance et sa motivation. Les romans avaient remplacé les choux-fleurs et pesaient bien plus lourd.
Les idées les plus banales étaient souvent les plus vendeuses.
L'onanisme était une pratique conservée de son adolescence, et tout changement de protocole risquait d’en diminuer les bienfaits. Il s’était montré plus déférent avec la vraie prostituée qu’envers Françoise qu’il affirmait respecter. Le mystère de son propre désir s’épaississait alors que filait son argent de poche.
Toussaint inhala une bouffée de plusieurs litres, il était redevenu un fumeur authentique. Valentine eut un sourire déconcertant.
- Réponses à toutes les questions que tu as envie de me poser mais que tu retiens pour ne pas avoir l'air d'un papy : il a mon âge, il s'appelle Victor, il clope moins que moi, il ne boit pas d'alcool, il n'est pas sportif du tout, il est taillé style crevette, un peu dans ton genre quand tu étais ado - j'ai vu les photos -, , ses parents sont libraires et c'est lui qui m'a donné l'idée du Primo Levi, pas mon prof de français. C'est un bouquin italien, je te rappelle. Ah oui, on ne fait pas attention, comme tu allais demander, puisqu'on n'a pas encore fait l'amour, mais ce jour-là, je te le jure, on fera très gaffe. Ca te va ?
Vieux con, et content. Quel bel anniversaire.