Les Confessions du comte de *** est certainement l’œuvre la plus connue de Charles Duclos et l’une de celles à laquelle pense tout connaisseur de la littérature libertine du 18e siècle. Comme plusieurs autres lecteurs, j’ai pensé aux Egarements du cœur et de l’esprit de Crébillon fils dès les premières lignes : il s’agit en effet à nouveau d’un roman-mémoires, narré par un libertin accompli qui revient sur ses premières années dans le monde. Pour ce faire, Duclos a choisi le médium de la lettre à un plus jeune, surpris de voir son aîné se retirer du monde. Apparaît donc déjà une dimension éducative, qui reviendra à deux reprises dans le récit : le comte de *** entreprend de raconter son histoire afin de préserver son destinataire que lui-même a commise (ou du moins afin d’essayer).
Si le parallèle avec l’œuvre de Crébillon fils apparaît rapidement, les différences interviennent assez tôt également : le comte est en effet moins maladroit que son prédécesseur, Meilcour, son initiatrice moins subtile que la prudente Madame de Lursay, et la conquête achevée en peu de pages. Commence ensuite alors l’initiation libertine du jeune héros, volant de femme en femme, sous la forme d’un roman-liste. Par le biais de ses aventures galantes, il explore différentes strates de la société (mais évite encore le peuple proprement dit et reste dans les sphères fortunées), ainsi que différents pays. Cela lui donne l’occasion de catégoriser les femmes en fonction de leur origine sociale, nationale (on voit là intervenir la théorie de l’influence du climat sur les tempéraments) et en fonction de leur attitude (les provinciales, les précieuses, les fausses prudes, les coquettes, etc.) Au terme de la première partie, le comte de *** est donc un petit-maître accompli. Bien que je n’apprécie que peu les romans-listes, où les aventures se succèdent sans véritable lien entre elles et où l’action romanesque semble primer sur l’aspect psychologique si bien développé par Crébillon (dans ce roman-ci de Duclos et dans celui de Mirabeau cité ci-dessous en tout cas), j’ai été intéressée par ces diverses conquêtes du héros de Duclos : j’ai eu le sentiment d’assister à une démonstration du discours que Versac aurait pu tenir au jeune Meilcour (ce dialogue sur les femmes est malheureusement absent, du fait de l’inachèvement du roman de Crébillon, ce que je ne cesse de regretter).
La seconde partie est assez différente de la première et propose un autre type d’enseignement : celui d’un amour pur, alliant à la fois la tendre amitié et le sentiment, rejetant à la fois l’insensibilité de l’amour mondain et la violence de l’amour-passion. Le rythme du récit se ralentit et les personnages acquièrent plus de profondeur que dans la première partie, sans doute pour accentuer le caractère vide de la vie menée dans la première partie. Cette éducation grâce à Mme de Selve ne se fait pas sans mal et quelques entorses, qui conserve un peu de piquant à ce final.
Dans l’ensemble, j’ai apprécié découvrir dans ce roman le parcours complet d’un libertin, tel que Crébillon l’a esquissé avec beaucoup de réussite sans le terminer, mais n’en préfère pas moins ce dernier : le style de Duclos est plus sec, son ton plus généralisant et attaché aux actions qu’à la description psychologique et fine des individus. Ce fut donc une lecture plus intéressante que vraiment plaisante pour moi.
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