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Citation de mimo26


La nuit est claire, les étoiles nombreuses. La lune caresse la cime du mont Lozère, lointaine masse sombre sur l’horizon accidenté des Cévennes. Une légère brise agite le causse et siffle entre les branches des genévriers. Une lumière électrique s’échappe de quelques fenêtres des bâtiments alignés au nord. Des stridulations d’insectes. Le parfum d’herbe sèche.

Un choc métallique.

Encastrée dans le sol rocailleux, une petite grille vient de s’élever de quelques centimètres pour retomber lourdement.

Une nouvelle tentative. La grille s’élève plus haut et retombe de travers. Une main, grise, s’agrippe au rebord. Une autre repousse la grille, dégageant l’ouverture, puis rejoint la première. Les deux glissent et disparaissent. Un bruit de chute, chair contre acier. Une respiration saccadée.

Les mains réapparaissent. Des gémissements d’effort. Une jambe jaillit, pâle et maigre. Le talon s’enfonce dans la terre, la peau translucide se déchire aussitôt. L’autre jambe, maintenant. Centimètre par centimètre, le corps s’extrait du sous-sol en traçant deux lignes sanglantes entre les pierres. Les genoux, nœuds d’os, sont dehors. Un râle de douleur. Et les doigts lâchent ; les talons dérapent ; le sol engloutit le corps ; la chair s’écrase encore contre l’acier.

Silence. Le vent, les insectes.

Au nord, une fenêtre s’éteint.

Dans le trou, une respiration bruyante. La main grise retrouve le rebord. Des grognements. La main s’élève, cherche une prise plus loin. Le bras suit, le coude laboure la terre. Encore un effort et l’autre bras surgit, et la tête. Un visage glabre, creusé, les yeux écarquillés et la bouche édentée. À peine un homme.

Autour de son cou, un large anneau métallique renvoie l’éclat de la lune.

Le presque-homme attrape à pleine main une racine tordue, tire dessus. Le torse émerge, puis le bassin. Il est nu, décharné. Il est dehors.

Il se retourne sur le dos, à bout de souffle, et contemple les étoiles. Ses côtes saillantes montent et descendent à un rythme effréné.

Le vent, les insectes.

Il a froid. Il s’assoit, regarde autour de lui, se lève. Les bâtiments sont alignés au nord. Il se tourne vers le sud et se met en marche. Il voudrait courir, mais il ne sait plus. Il boite, il tremble, il est épuisé. L’horizon est loin. Le monde est immense.

Pourtant, ses pas s’allongent. Et soudain, il court. Devant lui, il aperçoit de grands arbres. Son cœur menace d’éclater, ses poumons le brûlent, comme ses muscles atrophiés, ses pieds nus saignent. Il continue pourtant.
Une douleur embrase brusquement son visage et il est projeté en arrière, atterrit sur ses fesses décharnées, s’ouvre les coudes. Sa main se porte instinctivement vers son collier, mais c’est son nez qui le fait souffrir. Il se relève avec précaution et remarque le grillage. Il s’en approche, le saisit des deux mains, le secoue. La clôture s’étend loin sur la gauche et sur la droite. Il faut l’escalader. Ses orteils rejoignent ses doigts dans les losanges du treillis. Il est exténué, ses muscles sont trop faibles, mais il est léger. Il atteint le sommet et sa paume est mordue par les dents d’un rouleau de barbelés. Il manque de tomber en arrière en retirant sa main, se rattrape. Il n’hésite pas longtemps et se lance à l’assaut de l’obstacle. Il rampe sur les lames acérées qui lui labourent la chair. Il saigne, il a mal, il lâche prise. Un instant retenu par la mâchoire de fer, son corps bascule et heurte le sol dans un craquement d’os. Sa jambe est brisée. Il hurle.

Il est vivant, de l’autre côté de la barrière.

Les arbres.

Il se lève péniblement et claudique jusqu’à la lisière du bois.

Il est libre.
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