Imaginales 2017 : Récits angoissants... et ses personnages inquiétants !
Son cœur bondit dans sa poitrine. Il se força à rouvrir les yeux en deux fentes étroites : c'était bien le ciel, d'un bleu vif, qui s'étendait au-dessus de lui.
À cet instant, les sensations qu'il avait ressenties prirent corps : les insectes, les oiseaux, le vent, les odeurs, le soleil. Il était de retour sur terre.
L'avait-il seulement quitté ?
Cyril avait pris sa décision. Si la vie lui avait enseigné une chose, c'était qu'il fallait toujours choisir le camp du plus faible. La faillite de sa carrière professionnelle à cause de l'étanchéité des barrières sociales n'était qu'un exemple parmi d'autres. La grande Histoire regorgeait de combats inégaux, de pots de fer broyant les pots de terre, les uns luttant pour la domination, les autres pour leur survie. Un forcené au crâne fracassé à coups de bâtons lui avait rappelé la leçon : "Si pour t'en sortir, tu as besoin de démolir les autres, alors tu n'es plus un homme et tu mérites de crever !"
– J'ai quand même du mal à croire que de l'autre côté de la frontière, rien n'a bougé ...
– Oh ! tu sais, fit Flora.
Un «oh ! tu sais» désabusé, rempli de sous-entendus, qui ne grandissaient pas l'humanité. Un «oh ! tu sais» qui suggérait que ce ne serait pas la première fois que des gens souffrent à un jet de pierre d'autres qui s'en foutent.
Yannick pensait avoir de bonnes chances de trouver le scientifique chez lui, au deuxième étage de l'immeuble délabré qu'il habitait [...].
Le fait de naviguer parmi les souvenirs d'un autre avait quelque chose de grisant. Pourtant, à mesure que la voiture approchait de sa destination, une sensation de malaise envahissait le journaliste. Les rues ressemblaient de moins en moins aux images qu'il avait reçues de Guiraud. Les bâtiments n'étaient pas les mêmes, leur façade beaucoup moins défraîchie.
Puis les immeubles s'espacèrent. Il était arrivé. Il descendit du véhicule. Une main contre la carrosserie, il regardait fixement devant lui, sans comprendre ce qu'il voyait.
Au milieu d'un terrain vague s'élevait une tour en construction. Les travaux étaient bien avancés, seules quelques fenêtres manquaient encore ça et là. Malgré tout, il reconnut le bâtiment où le professeur avait passé les dernières années de son existence.
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Il avait déjà entendu cet échange des dizaines de fois, à cette même table ou ailleurs, depuis que le mouvement social qui agitait le pays avait débuté, plusieurs semaines auparavant. Les mêmes personnes échangeant les mêmes arguments, encore et encore. Savoir si la fermeture des écoles et le blocage des gares ou des péages d’autoroute étaient judicieux. C’est une prise en otages, disaient les uns ; c’est le seul moyen de pression des manifestants, répondaient les autres.
Quant à savoir pourquoi des centaines de milliers de personnes, qui dépensaient chaque mois la totalité de leur salaire pour se nourrir et se loger, étaient prêtes à renoncer à plusieurs jours de paye pour défiler dans la rue, ça, ça ne semblait pas intéresser ses collègues.
Avec ces phrases courtes et ces répétitions incessantes, l'auteur avait sans doute voulu rendre le trouble du héros, son obsession pour l'autre gars et son basculement dans une sorte de folie. Mais pour Joseph, qui lisait à haute voix dans sa tête, le procédé s'avérait rapidement assommant. Il avait l'impression de subir la sono de l'une de ces fêtes sauvages pour amateurs de musique techno.
Il n’y a aucun dieu, les méchants ne seront jamais punis. Les lois les protègent : ils les écrivent eux-mêmes.
Au fil des pages, elle comprenait mieux pourquoi le journaliste n'avait pu échapper à la mise à pied. Aucun directeur de quotidien ne pouvait rester stoïque face à de telles accusations de connivence et de corruption. Même si les arguments de l'auteur étaient soutenus par de nombreuses référence, avec une rigueur journalistique irréprochable - surtout pour ça -, l'affront devait être puni.
L'espace d'un instant, tout devint clair dans l'esprit de Yannick. Son visage s'illumina tandis que sa bouche s'ouvrait grand.
Il bondit vers son bureau, s'empara d'un crayon rangé avec d'autres dans un gobelet en plastique, d'un relevé de banque qui traînait par là, et griffonna frénétiquement une série de phrases énigmatiques, éparpillées sur toute la surface de la feuille et reliées entre elles par des flèches courbées.
Lamiproh, grippe H2N1, le vaccin, Bossaillon...
(...) De même que cette expression compliquée, le 'décompactage narcomnésique', désignait le processus d’intégration des souvenirs du professeur Guiraud dans sa propre mémoire après plusieurs cycles de sommeil. Ses intuitions fugaces à chacun de ses réveils étaient une manifestation de ce processus.
Comment savait-il tout cela ? Simplement parce que Guiraud le savait. Croyait-il réellement qu’un scientifique lui avait envoyé le contenu de son cerveau à distance ? Il n’en doutait pas une seule seconde.