Les dictatures rendent les gens infantiles en ne leur permettant pas de faire des choix existentiels, et de cette manière elles nous privent de ce merveilleux fardeau qu'est la responsabilité pour notre propre destin.
Imre Kertész m’a accordé son temps, sa bienveillance, son humour, et ses humeurs. Ma gratitude est celle d’une vie, surtout de celle qui me sera encore accordée : pour son œuvre et pour ce livre, mais aussi pour ce que, dans sa générosité, il m’a fait comprendre sur moi, pour ces airs que nous avons écoutés ensemble, pour ses rires. Un soir, alors qu’il évoquait un élégant hôtel de Kékes dont, en 1944, l’entrée était interdite aux chiens et aux Juifs, il s’interrompit tout à fait fâché en me voyant au bord des larmes : “Alors je ne te raconte plus rien!” J’ai donc tâché de rester joyeuse, et libre, en écrivant ces pages.
Ce livre n’épuise en rien ce que je lui dois. Je le dédie à Anikó Kiss.
J'écris sur Auschwitz ; si j'ai été déporté, ce n'était pas pour recevoir le prix Nobel, mais pour être tué ; tout ce qui m'est arrivé d'autre relève de l'anecdote. Que je n'aie pas eu le prix Nobel est aussi absurde que si je l'avais eu.
L'une des dernières disputes consignées par Kertesz dans son journal portait sur la pertinence de savoir si la population allemande connaissait l'existence des camps de concentration. Kertesz jugeait la question absconse :
"Tant que l'ordre des choses consiste à déposséder les gens, à les terroriser, bref, tant que la vie est un état exceptionnel, les phénomènes exceptionnels s'inscrivent sans peine dans l'ordre naturel des exceptions. Plus tard, la connaissance de certaines choses se révèle criminelle ; alors, les souvenirs changent et, à la lumière de ces souvenirs modifiés, la connaissance change à son tour.
Le 2 août 1976, alors qu'il commençait à travailler au Refus, ce roman qu'il aimait entre tous, Kertesz se recommandait de l'écrire comme un homme qui, une fois la tâche achevée, mettra fin à ses jours. Le Refus devait enterrer un être auquel l'écrivain était prêt à dire adieu : lui-même.