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Citations de Corine Sylvia Congiu (4)


Ma grand-mère est paroissienne. C'est le premier état qui la fonde en tant qu'humain. Ma grand-mère tricote et prie. Ma grand-mère tricote pour la paroisse, ma grand-mère tricote en violet parce qu'elle est veuve. Ma grand-mère n'achète que de la laine violette ou blanche, parce que ma grand-mère est une femme violette
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Te voilà. Te voilà devant moi. Ittoh Ben't Moha. La Berbère.

Il fallait bien que je te retrouve, depuis le temps.
J'ai trente ans. A trente ans, on ne refuse plus.
J'ai fait comme tout le monde, je suis revenue.

On m'avait dit, tu verras tu seras déçue, plus rien n'est comme avant. Ils y sont tous retournés. Ils sont tous revenus en pleurant, plus rien n'est comme avant. Evidemment que plus rien n'est comme avant. Qu'est ce qu'ils croient, qu'on va les attendre, qu'on va leur mijoter leur petit retour aux sources, qu'on va leur baiser la main quand on les rencontrera dans la rue, comme on faisait du temps où ils habitaient ici, qu'on va les supplier de venir boire le thé à la menthe ou manger le couscous ? Ça, vous pouvez encore faire. L'hospitalité arabe, c'est inscrit dans vos gènes.

Ils disent, tout est détérioré, ils n'ont rien entretenu, on leur a donné le confort ils n'ont pas appris à s'en servir, tout est à vau-l’eau depuis qu'on est partis.
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Tu es une vieille femme arabe. Il y a très longtemps, quand tu eus les seins lourds et du sang dans tes jupes, on te dit que tu avais treize ans. Ta mère t'avait emmenée voir un homme. Il y avait beaucoup de monde, c'était comme un marché, mais on ne vendait pas de bétail. Les enfants se pressaient aux mères, et les mères se pressaient à la foule, essayant de passer, interjectant d'autres femmes, extrayant le plus petit des mômes qui étouffait sous deux paires de poitrines énormes, le soulevant par un bras qu'elles tiraient vers le haut, et les petits visages suintant de morve happaient la chaleur sans air avant de replonger dans le magma de chair, la puanteur et la crasse.

Les femmes criaient des insultes, distribuant des taloches à celui des enfants qui avait perdu deux ou trois mètres ou qui tirait trop fort sur la partie de sa chair à laquelle il avait ancré ses doigts pour ne pas être emporté. Les enfants ne se parlaient pas entre eux, se retournant brusquement pour griffer au visage celui qui agrippait leur tignasse, arrimés à la mère par un bras qu'ils ne voyaient même plus.

Le soleil haut, les cris ne montaient pas, écrasés à la surface, englués à la poussière.

Les plus jeunes ahanaient un son monocorde, pleurnichement sans fin, syllabes répétées sans fatigue, on demandait à boire ou un morceau de kesra, ou le bout de plastique confisqué qu'on mordillait dans une bave boueuse.

L'homme qu'on venait voir était grand, vieux et sec. Une djellaba sombre en belle étoffe sans trous, une barbe, grise et blanche, qui lui descendait jusqu'au milieu de la poitrine.
On voyait qu'il savait beaucoup de choses parce qu'il se tenait droit, que ses gestes étaient calmes, partant largement sur le côté et finissant vers le ciel, la main ouverte ou le doigt pointé.

Quand tu as pu arriver près de lui, tu as vu pourquoi il était si haut que tu voyais même ses bras. Il était debout sur une espèce d'estrade, une planche posée sur quatre tonneaux.
Deux hommes à ses côtés t'ont tirée par les bras, hissée sur la planche, fait pivoter sur toi-même et demandé à ta mère si tu avais déjà saigné. L'un d'eux a soulevé ta jupe brutalement, il fallait que ça aille vite, et palpé ton sein pour montrer à l'homme en djellaba que tu les avais gros. Celui-ci dodelina d'avant en arrière, comme s'il priait, et dit que tu avais treize ans.
Alors, on te poussa en bas pour attraper ton frère, et un voisin, qu'on avait emmené parce qu'il savait écrire, griffonna sur un papier ton prénom et ton âge.

En rentrant, ta mère entraîna le voisin au mur blanc de la maison, et lui fit inscrire des bâtons pour chacun d'entre vous, dans l'ordre des naissances. Treize pour toi.
Plus tard, chaque fois que la saison du chergui revenait, ce vent chaud et humide qui ralentissait encore la démarche de la mère, ton père vous réunissait et gravait un bâton de plus dans le mur, pour chacun d'entre vous.

Quand il est devenu vraiment trop vieux, ou qu'il n'en eut plus envie, on ne nota plus rien sur le mur. Ton frère est retourné voir l'homme qui savait l'âge, parce qu'il en a eu besoin pour travailler avec les européens.

Mais vous, les filles, vous n'avez plus eu besoin de savoir votre âge.

Tout de même, tu aimais bien savoir ton âge, comme ton frère.
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Corine Sylvia Congiu
Tu as de longs seins secs comme des pruneaux secs qui te pendent sur le devant du corps.
Je me souviens du jour où tu m'emmenas au hammam. J'avais entendu mon père dire qu'il était inutile de donner une salle de bains aux arabes, qu'ils remplissaient leur baignoire de terre pour nourrir leur mouton.
C'était une plaisanterie qui le faisait rire, et les gens qui venaient chez nous.

Le hammam était en plein cœur de la médina. Les cases de terre s'agglutinaient entre elles comme des ruches sans plafond. Tous ces sexes mûris me figeaient les joues. Pullulation de féminité obscène qui ouvrait sur mon corps un futur imprévu.

Dans l'obscurité moite je m'étais arrêtée pour fixer tous ces corps au fond de ma rétine, les grappes mûres des seins et des ventres enduits d'huile, de vapeur.
A la lune changeante, tu avais fait mon henné et coupé les pointes de mes cheveux qui me coulaient jusqu'au-dessous des fesses. J'étais restée dans un silence de messe, les yeux écarquillés, à recevoir les cris lointains des femme
s et les rires, propulsés de loin en loin en échos engourdis.

C'est là que j'ai vu tes seins. Posé les yeux sans comprendre sur ces longs fruits vides, deux écoulements séchés, deux laves anciennes et molles.
Je n'avais jamais vu les seins de ma mère, juste son soutien-gorge, ou il y avait longtemps, ou je ne m'en souvenais plus.

Tu as trempé tes serviettes blanches dans le seau que tu avais apporté, et tu as fait couler l'eau tiède sur mes épaules. Tordant le coton très fort, lentement, puis sur les tiennes, sur ton ventre et sur tes cuisses. Baptême dans la vapeur parfois opaque. Je ne bougeais pas mais je n'étais pas figée. Un contact léger, comme un signe, suffisait à me faire tourner sur moi-même pour te permettre de continuer la toilette. Je venais de comprendre brutalement une similitude, tu n'étais plus cette chose immémoriale qui m'effrayait un peu. Tu étais comme un peu moi dans un futur flétri.

Et toutes ces femmes tout autour, bruyantes ou silencieuses, rieuses ou calmes, me prenaient dans leur mouvance, leur chaleur, transpiration, noyade, hypnose, dolence, appartenance. Mes yeux n'ont plus semblé posés ici ou là, ils s'en allaient au loin, loin devant. Si peu poursuivant une pensée, tellement bercés par elle, un abandon.

Je les voyais enfin, ces lèvres violacées, ces pilosités entre les fesses des femmes qui se penchaient en avant pour puiser l'eau des seaux. Les balles grasses aux mamelons brunâtres bondissaient mollement sous la pression des doigts qui savonnent...
Je ne me sentais jusqu'alors ni d'un sexe ni de l'autre.
Par delà le dégoût, la surprise sans joie que le ciel m'eût réservé celui-là.
Comme une aveugle docile, mon corps mollissait peu à peu sous tes doigts. Acceptation.
Tu t'es souvenue que dans une vie lointaine qui ne t'appartenait plus, une enfant s'était pressée à tes seins longtemps, refusant de quitter le creux de ton corps. Incurvé comme s'il avait toujours su le faire, recourbé en paume accueillant une souris ronde et chaude, qui palpite, et qui aurait dit :
- Tu vois, je suis à toi, je suis la seule chose qui sera jamais à toi, qui attend de tout te prendre jusqu'à sucer tes larmes, qui te mordra les seins jusqu'à ce que tu acceptes la douleur, qui t'apprendra ton corps comme tu ne l'auras jamais appris de l'homme".


























Tu as de longs seins secs comme des pruneaux secs qui te pendent sur le devant du corps.
Je me souviens du jour où tu m'emmenas au hammam. J'avais entendu mon père dire qu'il était inutile de donner une salle de bains aux arabes, qu'ils remplissaient leur baignoire de terre pour nourrir leur mouton.
C'était une plaisanterie qui le faisait rire, et les gens qui venaient chez nous.

Le hammam était en plein cœur de la médina. Les cases de terre s'agglutinaient entre elles comme des ruches sans plafond. Tous ces sexes mûris me figeaient les joues. Pullulation de féminité obscène qui ouvrait sur mon corps un futur imprévu.

Dans l'obscurité moite je m'étais arrêtée pour fixer tous ces corps au fond de ma rétine, les grappes mûres des seins et des ventres enduits d'huile, de vapeur.
A la lune changeante, tu avais fait mon henné et coupé les pointes de mes cheveux qui me coulaient jusqu'au-dessous des fesses. J'étais restée dans un silence de messe, les yeux écarquillés, à recevoir les cris lointains des femme
s et les rires, propulsés de loin en loin en échos engourdis.

C'est là que j'ai vu tes seins. Posé les yeux sans comprendre sur ces longs fruits vides, deux écoulements séchés, deux laves anciennes et molles.
Je n'avais jamais vu les seins de ma mère, juste son soutien-gorge, ou il y avait longtemps, ou je ne m'en souvenais plus.

Tu as trempé tes serviettes blanches dans le seau que tu avais apporté, et tu as fait couler l'eau tiède sur mes épaules. Tordant le coton très fort, lentement, puis sur les tiennes, sur ton ventre et sur tes cuisses. Baptême dans la vapeur parfois opaque. Je ne bougeais pas mais je n'étais pas figée. Un contact léger, comme un signe, suffisait à me faire tourner sur moi-même pour te permettre de continuer la toilette. Je venais de comprendre brutalement une similitude, tu n'étais plus cette chose immémoriale qui m'effrayait un peu. Tu étais comme un peu moi dans un futur flétri.

Et toutes ces femmes tout autour, bruyantes ou silencieuses, rieuses ou calmes, me prenaient dans leur mouvance, leur chaleur, transpiration, noyade, hypnose, dolence, appartenance. Mes yeux n'ont plus semblé posés ici ou là, ils s'en allaient au loin, loin devant. Si peu poursuivant une pensée, tellement bercés par elle, un abandon.

Je les voyais enfin, ces lèvres violacées, ces pilosités entre les fesses des femmes qui se penchaient en avant pour puiser l'eau des seaux. Les balles grasses aux mamelons brunâtres bondissaient mollement sous la pression des doigts qui savonnent...
Je ne me sentais jusqu'alors ni d'un sexe ni de l'autre.
Par delà le dégoût, la surprise sans joie que le ciel m'eût réservé celui-là.
Comme une aveugle docile, mon corps mollissait peu à peu sous tes doigts. Acceptation.
Tu t'es souvenue que dans une vie lointaine qui ne t'appartenait plus, une enfant s'était pressée à tes seins longtemps, refusant de quitter le creux de ton corps. Incurvé comme s'il avait toujours su le faire, recourbé en paume accueillant une souris ronde et chaude, qui palpite, et qui aurait dit :
- Tu vois, je suis à toi, je suis la seule chose qui sera jamais à toi, qui attend de tout te prendre jusqu'à sucer tes larmes, qui te mordra les seins jusqu'à ce que tu acceptes la douleur, qui t'apprendra ton corps comme tu ne l'auras jamais appris de l'homme".



















Tu as de longs seins secs comme des pruneaux secs qui te pendent sur le devant du corps.
Je me souviens du jour où tu m'emmenas au hammam. J'avais entendu mon père dire qu'il était inutile de donner une salle de bains aux arabes, qu'ils remplissaient leur baignoire de terre pour nourrir leur mouton.
C'était une plaisanterie qui le faisait rire, et les gens qui venaient chez nous.

Le hammam était en plein cœur de la médina. Les cases de terre s'agglutinaient entre elles comme des ruches sans plafond. Tous ces sexes mûris me figeaient les joues. Pullulation de féminité obscène qui ouvrait sur mon corps un futur imprévu.

Dans l'obscurité moite je m'étais arrêtée pour fixer tous ces corps au fond de ma rétine, les grappes mûres des seins et des ventres enduits d'huile, de vapeur.
A la lune changeante, tu avais fait mon henné et coupé les pointes de mes cheveux qui me coulaient jusqu'au-dessous des fesses. J'étais restée dans un silence de messe, les yeux écarquillés, à recevoir les cris lointains des femmes et les rires, propulsés de loin en loin en échos engourdis.

C'est là que j'ai vu tes seins. Posé les yeux sans comprendre sur ces longs fruits vides, deux écoulements séchés, deux laves anciennes et molles.
Je n'avais jamais vu les seins de ma mère, juste son soutien-gorge, ou il y avait longtemps, ou je ne m'en souvenais plus.

Tu as trempé tes serviettes blanches dans le seau que tu avais apporté, et tu as fait couler l'eau tiède sur mes épaules. Tordant le coton très fort, lentement, puis sur les tiennes, sur ton ventre et sur tes cuisses. Baptême dans la vapeur parfois opaque. Je ne bougeais pas mais je n'étais pas figée. Un contact léger, comme un signe, suffisait à me faire tourner sur moi-même pour te permettre de continuer la toilette. Je venais de comprendre brutalement une similitude, tu n'étais plus cette chose immémoriale qui m'effrayait un peu. Tu étais comme un peu moi dans un futur flétri.

Et toutes ces femmes tout autour, bruyantes ou silencieuses, rieuses ou calmes, me prenaient dans leur mouvance, leur chaleur, transpiration, noyade, hypnose, dolence, appartenance. Mes yeux n'ont plus semblé posés ici ou là, ils s'en allaient au loin, loin devant. Si peu poursuivant une pensée, tellement bercés par elle, un abandon.

Je les voyais enfin, ces lèvres violacées, ces pilosités entre les fesses des femmes qui se penchaient en avant pour puiser l'eau des seaux. Les balles grasses aux mamelons brunâtres bondissaient mollement sous la pression des doigts qui savonnent...
Je ne me sentais jusqu'alors ni d'un sexe ni de l'autre.
Par delà le dégoût, la surprise sans joie que le ciel m'eût réservé celui-là.
Comme une aveugle docile, mon corps mollissait peu à peu sous tes doigts. Acceptation.
Tu t'es souvenue que dans une vie lointaine qui ne t'appartenait plus, une enfant s'était pressée à tes seins longtemps, refusant de quitter le creux de ton corps. Incurvé comme s'il avait toujours su le faire, recourbé en paume accueillant une souris ronde et chaude, qui palpite, et qui aurait dit :
- Tu vois, je suis à toi, je suis la seule chose qui sera jamais à toi, qui attend de tout te prendre jusqu'à sucer tes larmes, qui te mordra les seins
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