Le lendemain matin, lorsque l'ours quitta sa grotte...
"Oh! Deux autres! Deux cadeaux qui croustillent! Quelqu'un a dû les laisser ici pour moi. Je me demande qui."
- Ça vous ennuierait, demanda l'élan, que je rentre un moment, le temps de me réchauffer ? J'ai les sabots gelés.
Et frôlant M. Breton, il entra dans la cuisine. Ses bois rasaient le plafond. L'élan s'assit par terre devant le fourneau. Il ferma les yeux et resta là longtemps sans rien dire.
Debout dans sa cuisine, M. Breton regardait l'élan.
L'élan ne bougeait pas d'un sabot. Bientôt, de petites volutes de vapeur s'élevèrent de sa pelisse bleue. Au bout d'un long moment, il poussa un soupir. On aurait dit une corne de brume.
L'élan arpentait la cuisine en long et en large.
- Alors ? demanda l'élan bleu. Ça vous plaît ?
- J'ai à peine lu la première phrase, dit M. Breton.
M. Breton se remit à lire.
- Bon sang, dit-il soudain.
- Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? demanda l'élan bleu. Où en êtes-vous ?
- Nulle part. Je voulais seulement dire : bon sang, jamais je n'arriverai à lire tant que tu déambuleras comme ça. Assieds-toi un peu et bois ton café, pendant que je lis ton livre.
Un jour, l'élan dit à M. Breton :
- Chef, au sous-sol de ce restaurant, j'ai remarqué une vieille machine à écrire. Puis-je vous demander la permission de la monter dans ma chambre ?
- Naturellement, dit M. Breton.
Puis il ajouté, hésitant :
- Si je peux me permettre une question, je m'en voudrais d'être indiscret... Euh... Que peut bien faire un élan d'une vieille machine à écrire ?
- Écrire, chef, répondit l'élan.
- Ah bon, dit M. Breton.
Le soir d'après, alors qu'il fredonnait, il sentit que quelqu'un l'observait à travers les buissons.
«Tu es bien adorable comme petit ours », dit l'ours.
«Et toi, quel beau lapin grand et fort tu fais!»
Soudain, l'élan se mit à fredonner. Tout doux pour commencer, puis de plus en plus fort. La table commença à vibrer. M. Breton la sentait frémir sous ses doigts chaque fois qu'il prenait une pomme.
Mêlée aux senteurs de pomme, de raisins secs et de cannelle, la mélancolie fit fondre le givre aux carreaux. Le soleil inonda la cuisine. Par-dessus l'odeur de compote, M. Breton crut détecter comme un parfum de sève et de fleurs.
J'en profitai pour faire du sport et pulvériser divers records, notamment celui en ski nordique : ski de fond, combiné, biathlon, je remportai tout haut le sabot. Las ! Aucun de mes records ne pût être homologué, pour un bête détail technique : le règlement ne prévoyait que deux catégories de concurrents, Dames et Messieurs. Pas d’Élans.
Voilà pourquoi (ne cherchez pas) je ne figure nulle part dans le livre des records.
Un matin, c'est un élan qu'il trouva là, derrière la maison. Un élan bleu. quand M. Breton sortit par la porte de cuisine, l'élan était là, qui le regardait.
Au bout d'un moment, M. Breton rentra, ferma la porte et se fit du café. Et il attendit que l'élan s'en aille.
Mais l'élan ne s'en allait pas. Planté derrière chez M. Breton, il fixait la porte de la cuisine.
En cuisine, M. Breton rayonnait. Mille odeurs exquises s'échappaient de ses marmites et, du matin au soir, de grandes fournées de pain doré sortaient de son four ronflant. M. Breton n'aimait rien tant que mitonner des tas de bonnes choses pour des tas de gens. Plus il avait de convives, plus il était content.
M. Breton n'avait jamais été aussi heureux de sa vie.
- Tu te rends compte ? A les croire, je serais le meilleur cuisinier au monde !
- Oh, mais vous l'êtes, répondit l'élan. [...] Au fait, ajouta l'élan, vous n'avez pas froid, assis comme ça dehors, sans veste, ni bonnet, ni cache-nez ?
- Froid ? répondit M. Breton. Pas le moins du monde. Je crois même que c'est l'hiver le plus doux de toute ma vie.