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Citation de Clairoche


Je continue à courir et jaillis hors de l'immeuble sous une douche glacée parce que le ciel en a profité pour tout larguer d'un coup sur la ville, et c'est là-dessous que je cours, le long de la rue du Temple, comme un galet qui rebondit, je traverse en diagonale les 33 677 mètres carrés de la République, sautant par-dessus les capots des bagnoles, les haies des squares, les chiens qui pissent, et je remonte, toujours en courant, les 2 850 mètres en crue de l'Avenue du même nom. Le torrent est contre moi, mais rien ne peut arrêter l'homme qui court quand il n'a plus de but, car je cours en direction du Père-Lachaise et on ne peut pas appeler ça un but, mon but à moi c'était Julia, mon joli but secret, planqué bien profond sous la montagne des obligations, c'était Julia, mais je cours et ne pense pas, je cours et ne souffre pas, la pluie noire me donne les ailes chatoyantes du poisson qui vole, je cours des milles et des milles quand la seule perspective de me taper un cent mètres m'a toujours épuisé, je cours et ne m'arrêterai plus jamais de courir, je cours dans la double piscine de mes pompes où mes idées se noient, je cours, et dans cette nouvelle vie de coureur sous-marin qui est la mienne - c'est fou comme on s'habitue ! -, apparaissent les images, parce qu'on peut toujours courir plus vite que les idées, mais les images, elles, naissent du rythme même de la course, appartement saccagé, large visage de Julia, petit coussin poignardé, brusque grimace de Julia, téléphone décapité, cri soudain de Julia (C'est donc "ça" que tu as vu, Julius ?), hurlement de Julius aussi, long hurlement supplicié, plinthes arrachées au mur, Julia jetée au sol, je cours maintenant de flaques en baffes, d'éclaboussures en hurlements, mais pas seulement, large saut de caniveau et première apparition de Julia dans ma vie, le balancement de sa crinière et celui de ses hanches, livres écartelés mais seins lourds de Julie, coups, baffes et coups, mais sourire puissant de Julie au-dessus de moi : "En argot espagnol, aimer se dit comer", courir pour être mangé par Julie, frigidaire désossé, que voulaient-ils savoir ? et la pensée qui rattrape les images, la pensée si rapide malgré son fardeau de terreur, savoir ce que Julie savait, voilà ce qu'ils voulaient, "moins tu en sauras, Ben, mieux ça vaudra pour la sécurité de tout le monde". C'est vrai, Julie, qu'ils n'aillent pas remettre la main sur ces pauvres vieux, "ne me téléphone pas, Ben, ne viens pas me voir, d'ailleurs je vais disparaître pendant quelque temps", mais s'ils viennent, eux, chez moi, pendant que je cours comme un con et si c'était ça, justement, qu'ils voulaient savoir, la planque des grands-pères, et s'ils le savent, maintenant, et s'ils avaient fait le chemin inverse, eux, entrant en force dans la maison pendant que maman est seule avec les enfants et les grands-pères ? flaques, baffes, caniveaux, terreur, je traverse l'avenue au niveau du lycée Voltaire, ça klaxonne, gueule, patine, et froisse de la tôle, mais j'ai déjà plongé comme la mouette ivre dans la rue Plichon, traversé celle du Chemin-Vert et je viens de m'écraser contre la porte de la quincaillerie. Les champions sont terrorisés, il n'y a pas d'autre explication. Les champions cavalent sous l'effet de la terreur qui pulvérise les records.
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