Citations de Danièle Simpson (13)
Elle ferme les yeux pour écouter la respiration de l'homme qui dort à côté d'elle. Lente, régulière, profonde, elle s'est mise à l'unisson avec le souffle du monde. La vie entre en lui presque silencieuse et en ressort avec le bruit d'une bulle qui crève. Son existence tient à ce mouvement presque imperceptible qui, par miracle, se répète des millions de fois au cours d'une existence sans qu'on n'ait rien à y faire. C'est un cadeau, ou peut-être n'est-ce qu'une servitude.
Il n'y a pas de précipice, seulement des rêves qui exigent trop, surtout des autres.
Les êtres humains sont tous, elle comme les autres, des fourmis grouillant à la surface de la planète, s'employant à faire ce que l'instinct leur dicte, tous, aux meilleurs jours comme aux pires. S'en rendre compte ou pas n'y change rien.
Les mots habillent la solitude.
Elle se penche vers le hublot pour admirer les filets rougeoyants du soleil qui se mêlent déjà aux longues coulées noires de la nuit. Elle admire, mais avec circonspection, sachant que l'immensité dans laquelle cette beauté se déploie pourrait l'absorber dans la plus parfaite indifférence.
L’enfance est le lieu par excellence de la fiction, le moment où l’on croit que tout est possible alors que les possibles sont déjà arrêtés et peu nombreux. Elle a chéri cette fiction sans comprendre qu’elle y cherchait les possibles dont la vie l’avait privée. Et lorsque cet enfant, ce premier amour, s’est élancé sans crainte, il l’a obligée à s’allonger sous lui et à devenir sol ferme pour qu’il ne tombe pas, ne se blesse pas.
Ce qu’elle sait aujourd’hui, c’est que ce sourire était un piège, ensorcelant, merveilleux, mais un piège tout de même puisqu’il l’avait enfermée dans un amour qui donne tout, ne compte pas et s’attend, dans cette forme-là, à durer toujours.
Manifestement, voguer entre ciel et terre ne l’empêchera pas de dormir. Elle lui envie cette heureuse disposition, ferme les yeux à son tour et appuie sa tête sur le dossier. Mais la nostalgie, qui n’en a pas fini avec elle, la ramène aussitôt vingt-sept ans en arrière, à un moment dont le souvenir lui est resté parce qu’il marque le début de ses illusions.
Il va falloir reconstruire, et d’abord dans une vacuité sans désir ni direction. C’est le prix de la liberté.
Elle veut fermer les yeux et se reposer, mais l’angoisse l’oblige à les rouvrir, à regarder autour d’elle. Quelque chose a changé qui l’effraie. Elle n’occupe plus l’espace, c’est l’espace qui l’occupe, s’étirant du bout d’une aile de l’avion à l’autre, distendant le vide qui la remplit.
Ses quatre minutes à elle n’étant pas écoulées, le pire est toujours à craindre. Elle souligne excès deux fois. Pour penser à autre chose. Quelle vérité tente de sortir de l’ombre ? L’avion, qui traverse des nuages, est agité de soubresauts.
Elle n’a appris ni à se livrer ni à faire confiance, mais les mots écrits créent en elle une présence qui la rassure. Elle relit sa phrase, scande dans sa tête les sons qui se détachent, qui con que quoi que, réconfortée par la dureté des occlusives, petits cris de guerre secs aux accents impétueux.
Elle ajoute soutenir, qui signifie se trouver sous pour porter le poids de, ce qu’elle fait depuis trop longtemps déjà, puis, pour identifier les compléments d’objet et les inclure tous, choisit la formule qui n’en laissera s’échapper aucun : quiconque ni quoi que ce soit.