
Douze ans s'étaient écoulés, une nuit où maman n'arrivait pas à dormir, elle m'a soudain dit en me serrant dans ses bras que papa était quelqu’un de bien, qu’on l’avait accusé injustement ; ces paroles porteuses d’espoir enflammèrent un cœur d’enfant qui se dit que, pour la première fois, elle allait pouvoir jouir des mêmes droits que les autres enfants ; alors, j’ai couru à l’école, à la société des gens de théâtre, au comité de quartier, au Q.G. des Gardes rouges, partout, pour leur certifier, à tous, que papa n’était pas un criminel. La catastrophe ne se fit pas attendre, une foule furieuse me ramena à la maison pour y faire une enquête, maman ne savait pas ce qui s’était passé, devant sa fille, elle revint sur tout ce qu’elle avait dit, faisant retomber toute la faute sur mes frêles épaules. Maman, prise de remords, implora le ciel en disant qu’elle préférait mourir, mais à quoi bon ? J’ai été paradée dans les rues, condamnée à diverses corvées, et à rester agenouillée sur des morceaux de verre.
Papa est de retour.
Il a passé au total vingt années en camp de travail, du Dongbei au Shanxi, puis du Shanxi au Gansu; comme un marin entraîné dans la mer par une vague, il a mené un combat désespéré dans cette dérive, et puis, comme par miracle, une petite vague l’a rejeté sur le pont initial.
La conclusion de tout cela fut qu’il avait simplement été victime d’une erreur judiciaire, et on lui a accordé une complète réhabilitation. Ce jour-là, tous les pontes de la société des gens de théâtre nous ont fait l’honneur de visiter notre humble logis ; lorsqu’ils nous ont annoncé le verdict, j’ai failli bondir. A quel moment êtes-vous donc devenus intelligents ? Il avait été proclamé qu’il était coupable de crimes envers le peuple, n’est-ce pas ce que vous mêmes, les gens de lettres, aviez dit ? C’est le regard de maman, ce regard aussi calme que douloureux, qui m’a arrêtée.
Au bord du ciel
L'amour unit les chaînes de montagnes
l'éternité, comme la patience des choses
simplifie les voix
aigu triste un cri
des temps reculés nous parvient
repose-toi, voyageur recru de fatigue
tes oreilles meurtries
révèlent ta dignité
aigu triste un cri
p.80
Père - chef de l'exécutif au sein de la famille, prit la décision suivante : tuer les lapins pour assouvir nos ventres affamés et régler les problèmes à venir. Je supputai que telle avait été sa premiere intention en achetant le couple de lapins - du lièvre au lapin domestique, il s'agit bien là d'un mode ancestral de préservation des rémanences de la chasse.
Mon frère et moi fîmes opposition avec véhémence, et de pleurer, de crier, d'aller même jusqu'à parler de grève de la faim en guise de protestation. Mais l'avis des petites gens n'a aucun poids, le despotisme tout comme l'ordre de la chaîne alimentaire, est irréversible.
Fidèle et sincère
N’allume pas la lampe
la porte des ténèbres conduit le sage
ma main connaît le chemin
comme une ancienne clef
à l’emplacement du cœur
elle ouvre ton destin
le printemps oscille derrière la porte
quelques tiges de bambou se balancent
un corps s’élève en nageant de sous la terre
la tempête de neige est passée
les papillons de nouveau s’assemblent
Je te suis, croyance,
toi qui suit la mort
p.88
L'enfance et la jeunesse tiennent une place tellement importante dans la vie d'un être, on pourrait même dire que tout ce qui de passera après prend forme pu se décide pratiquement à ce moment-là. Remonter à la source de la vie s'apparente à quelque exploration de la préhistoire, riche de joies et de chagrins au fil de la découverte.
Alors soudain, la confiance qui venait tout juste de s'établir entre nous s'effondre. L'angoisse me saisit. Le sang afflue, cogne à ma tête. [...]
"Ne pleure pas, Lanlan !"
Qui parle de pleurer? Maman, si j'étais encore capable de pleurer, ce serait, j'en suis sûre, pour verser des larmes rouges, des larmes de sang !
La naissance d'une vie est tellement liée au hasard : s'il n'y avait pas eu la guerre, si grand-père n'avait pas été exilé loin de son pays, si mère n'avait pas accompagné grand-mère à Chongqing, si père n'avait pas été muté à Pékin, sans la pagaille de l'après-guerre à l'aéroport, sans la vétusté des téléphones, sans la tragédie vécue par ma jeune tante, sans cette correspondance entre Pékin et Shanghai, serais-je là ?
Plus tard, à la vie du ciel étoilé peint par Van Gogh, je n'ai pas été surpris. Selon moi, ce sont des visions communes à tous ceux qui éprouvent la faim.
Ses sanglots laissés au cœur de l'Histoire, qui d'autre que moi aurait pu les entendre ?