Douze ans s'étaient écoulés, une nuit où maman n'arrivait pas à dormir, elle m'a soudain dit en me serrant dans ses bras que papa était quelqu’un de bien, qu’on l’avait accusé injustement ; ces paroles porteuses d’espoir enflammèrent un cœur d’enfant qui se dit que, pour la première fois, elle allait pouvoir jouir des mêmes droits que les autres enfants ; alors, j’ai couru à l’école, à la société des gens de théâtre, au comité de quartier, au Q.G. des Gardes rouges, partout, pour leur certifier, à tous, que papa n’était pas un criminel. La catastrophe ne se fit pas attendre, une foule furieuse me ramena à la maison pour y faire une enquête, maman ne savait pas ce qui s’était passé, devant sa fille, elle revint sur tout ce qu’elle avait dit, faisant retomber toute la faute sur mes frêles épaules. Maman, prise de remords, implora le ciel en disant qu’elle préférait mourir, mais à quoi bon ? J’ai été paradée dans les rues, condamnée à diverses corvées, et à rester agenouillée sur des morceaux de verre.
Papa est de retour.
Il a passé au total vingt années en camp de travail, du Dongbei au Shanxi, puis du Shanxi au Gansu; comme un marin entraîné dans la mer par une vague, il a mené un combat désespéré dans cette dérive, et puis, comme par miracle, une petite vague l’a rejeté sur le pont initial.
La conclusion de tout cela fut qu’il avait simplement été victime d’une erreur judiciaire, et on lui a accordé une complète réhabilitation. Ce jour-là, tous les pontes de la société des gens de théâtre nous ont fait l’honneur de visiter notre humble logis ; lorsqu’ils nous ont annoncé le verdict, j’ai failli bondir. A quel moment êtes-vous donc devenus intelligents ? Il avait été proclamé qu’il était coupable de crimes envers le peuple, n’est-ce pas ce que vous mêmes, les gens de lettres, aviez dit ? C’est le regard de maman, ce regard aussi calme que douloureux, qui m’a arrêtée.