Les livres d'avant et d'ailleurs: Daron Acemoglu, James Robinson et Bruce Sacerdote
Entre la peur et la répression causées par des États despotiques et la violence et l'anarchie qui se manifestent en leur absence, existe un étroit couloir vers la liberté. C'est dans ce couloir que l'État et la société s'équilibrent. Cet équilibre ne nait pas d'un moment révolutionnaire. C'est une lutte constante entre ces deux forces, une lutte qui se renouvelle jour après jour. Cette lutte apporte des avantages. Dans le couloir, l'État et la société ne se contentent pas de se faire concurrence, ils coopèrent aussi. Une telle coopération confère une plus grande capacité à l'État pour répondre aux besoins de la société et favorise une plus grande mobilisation sociale pour la surveillance de cette capacité. Ce qui en fait un couloir, et non une porte, c'est que l'atteinte à la liberté est un processus ; il faut parcourir un long chemin dans le couloir avant que la violence ne soit maîtrisée, que les lois ne soient écrites et appliquées, et que l'État ne commence à fournir des services à ses citoyens. C'est un processus parce que l'État et ses élites doivent apprendre à vivre avec les entraves que la société leur impose et parce que les différents segments de la société doivent apprendre à travailler ensemble malgré leurs différences,
La majorité (des) élites, ainsi qu'un grand nombre de ceux qui travaillent pour le Léviathan, ont intérêt à étendre le pouvoir de ce dernier. Pensez aux bureaucrates qui travaillent sans relâche pour vous fournir des services publics ou pour réguler l'activité économique afin que vous ne soyez pas dominés par un monopole ou par des pratiques de prêt prédatrices. Pourquoi ne voudraient-ils pas que leur propre pouvoir et leur autorité soient étendus ? Pensez aux hommes politiques qui dirigent le Léviathan. Pourquoi ne souhaiteraient-ils pas que leur propre monstre marin devienne encore plus capable et dominant ? Par ailleurs, plus nos vies deviennent complexes, plus nous avons besoin de résolution de conflits, de réglementation, de services publics et de protection de nos libertés. Et pourtant, plus le Léviathan devient capable, plus il est difficile à contrôler. Ainsi, plus la société est puissante - c'est-à-dire les gens ordinaires, nous tous et nos organisations et associations - plus elle doit devenir puissante pour pouvoir la contrôler.
Le chapitre 6 explique pourquoi plusieurs pays européens ont réussi à construire des sociétés largement participatives avec des États capables mais toujours enchainés. Notre réponse porte sur les facteurs qui ont conduit une grande partie de l'Europe vers le couloir au début du Moyen Âge, lorsque des tribus germaniques, en particulier les Francs, sont venues envahir les terres dominées par l'Empire romain d'Occident après son effondrement. Nous soutenons que le mariage des institutions et des normes participatives ascendantes des tribus germaniques avec les traditions bureaucratiques et juridiques centralisatrices de l'Empire romain a forgé un équilibre de pouvoir unique entre l'État et la société,
L'innovation a besoin de créativité et la créativité a besoin de liberté : les individus doivent agir sans peur, expérimenter et tracer leur propre chemin avec leurs propres idées, même si ce n'est pas ce que les autres voudraient voir. C'est une situation difficile à maintenir sous le despotisme. Les opportunités ne sont pas ouvertes à tous lorsqu'un groupe domine le reste de la société, et il n'y a pas beaucoup de tolérance non plus pour les différentes voies et expériences dans une société sans liberté.
Contrairement à une vision qui met l'accent sur les vertus et l'ascension implacable des institutions ou des conceptions constitutionnelles occidentales, dans notre théorie la liberté émerge d'un processus désordonné, qui ne peut être facilement conçu. La liberté ne peut pas être conçue et son destin ne peut pas être assuré par un système intelligent de contre-pouvoirs. La mobilisation, la vigilance et l'affirmation de la société sont nécessaires pour qu'elle fonctionne.
La caractéristique déterminante des mouvements populistes (...) est leur refus d'accepter les contraintes et les compromis, et c'est cette caractéristique qui les rend en fin de compte peu susceptibles de redresser les déséquilibres de la société. Il s'agit de créer de nouvelles dominances, et non d'y mettre fin.
Nous avons besoin d'un État capable d'appliquer les lois, de dompter la violence, de résoudre les conflits et de fournir des services publics, mais qui est encore apprivoisé et contrôlé par une société affirmée et bien organisée.